29/06/2011

du cinéma

Je serais restée encore assise dans la salle de cinéma à imaginer la suite de L’Autobiographie de Nicolae Ceausescu, le documentaire d’Andrei Ujica, si je n’avais su qu’à cette histoire, il y a eu une fin abrupte : Nicolae et Elena Ceausescu ont été fusillés en décembre 1989 et le pays enfin sorti du communisme se faisait alors de grands espoirs de démocratie. Vingt-deux ans depuis la chute de ce régime, et donc plus de deux décennies de bricolage d’idées sur les sens de la démocratie, comme si la vie, la vraie, était censée commencer en ’89 avec cette liberté convoitée. Le film d’Ujica est là pour montrer qu’il y a eu bien une vie « avant », une origine, de l’opulence, bien que sélective, juste pour les membres du parti communiste, et une réalité des plus surprenantes : la soumission aveugle du peuple qui se pliait à un discours idéologique creux, des mots sans contenu dont le message passait ainsi : « travaillez travaillez » pour oublier que vous avez une vie à vivre. Cocasse manège.  

Si pendant 24 ans à la tête du pays, on dit que Ceausescu avait aimé nourrir son narcissisme en se laissant filmer au moins une heure par jour, le documentaire d’Ujica offre trois heures d’images troublantes, autant de scènes drôles et terrifiantes d'une existence paradoxale, prise entre désir de grandeur et pauvreté d'esprit. Comment devient-on dictateur ? Y a-t-il un art d’être Ceausescu ?...
Un film qui vaut la peine si on se pose ces questions. 


20/06/2011

winnipeg

...la Maison rouge, centre d'art privé à Paris, commence par la ville du Manitoba - Winnipeg -  un cycle d'expositions consacré aux lieux de l'art actuel, considérés comme périphériques par rapport aux centres internationaux que sont New York, Berlin ou Paris.
Voir Le Monde, 20 juin 2011.

18/06/2011

monumenta 2011 : fiction, corps

Sur trente-cinq mètres de haut, l’œuvre apparaît comme une muraille rouge qu’il est impossible d’embrasser d’un seul regard. Elle demande que l’on s’adosse contre la verrière, que l’on prenne le temps de saisir la silhouette générale. Ceci est voulu par l’artiste Anish Kapoor qui en profite pour poser la question de « l’objet ». Est-ce un objet ? Ce n’en est est pas un. Une fiction ? Un corps ? Sa structure en trois parties habille la Nef du Grand Palais à Paris, suit ses angles, comme si l’œuvre surgissait de l’écrin qui la reçoit. L’échelle elle-même est inhumaine. Elle nous éblouit, nous ébahit par sa taille, sa forme et sa couleur. Cette œuvre remplie de lumière, qui prend des nuances de rouge selon les heures de la journée, domine physiquement le visiteur. Et c'est connu : le corps, le travail sur le corps, sont très importants chez Kapoor. J’entends par là, aussi bien le travail sur la sensorialité du spectateur, que l’état très organique, sexuel, viscéral de l’œuvre. Elle bouge, elle est vivante ; un cœur qui bat, les battements du sang, des veines, une respiration en haleine qui se développe et se rétracte. La couleur, ce rouge sombre, renvoie implicitement au corps, et par extension, à la grande matrice, à l’origine. Tout cela participe d’une expérience de perception, qui cherche un en-deçà du langage..


13/06/2011

l'amour fou

Pour le titre de son film, Pierre Thorreton est allé du côté d'André Breton et choisi L'Amour fou. Ce documentaire élégant et glacé se veut un portrait de l'amour de deux hommes au long d'un demi-siècle : Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé. Le récit suit la conception, la naissance et la dispersion de la fabuleuse collection d'art qui fut en quelque sorte l’incarnation de cet amour. Les magnifiques objets de la collection : une sculpture de Brancusi, des tableaux de Picasso, Mondrian, Goya, Andy Warhol… – ont été vendus en 2008, rapportant 373,9 millions d'euros.

Comme sur des positions préparées à l'avance, le film se replie sur les images de l'intérieur somptueux qui fut celui de Saint Laurent et Bergé dans le faubourg Saint-Germain, sur des plans de leur villa en Normandie, de leur maison à Marrakech. La beauté des objets, l'opulence des demeures accaparent le premier plan, sans que les êtres qui les habitent soient jamais plus que des sphinx.


Carlton Cinema, Toronto

11/06/2011

natural magick

Quelle est « la langue des écrivains » ? Je choisis de penser à cette question à travers une métaphore ;  une métaphore assez banale : disons qu’écrire ressemble à faire la cuisine… mais sans recette. Ce qui est un projet assez délirant. On se propose d’embarquer dans la préparation de mets extraordinaires et on n’a pas la moindre idée de comment on va faire pour trouver les ingrédients, les couper, les mouliner, dans quelles proportions les mélanger, les faire cuire pour combien de temps… On se lance, on s’isole, on a le cœur qui bat tant on a envie que ça soit bon, parfois on y va franchement sans trop penser, mais ensuite vient le moment où il faut goûter, et on goûte, et souvent, très souvent, on trouve que ce n’est pas ça, pas du tout ce qu’on voulait faire, c’est même repoussant, on panique, on ne sait pas si on va y arriver… on jette à la poubelle, on recommence, on attend…

Non, au fond, ce n’est pas la bonne métaphore. Parce que ce qui manque en tout cela, est la magie. Ce que nous cherchons – beaucoup le savent – c’est un grain de magie. Il faut que le repas soit non seulement délicieux, mais qu’à force d’ajouter et d’essayer, on parvienne à une concoction surnaturelle, une potion étourdissante qui produise chez les invités, chez les lecteurs ou les victimes, des effets forts, physiques, métaphysiques, éclats de rire, battements de cœur, illumination, assombrissement du cœur. C’est toujours, oui, comme essayer de faire de la magie. Mais sans recette.

Dans le spectacle Natural Magick produit par David Ben pour le festival Luminato de Toronto (du 10 au 19 juin 2011), les procédés et les variations de cette « cuisine » varient incroyablement d’une scène à l’autre, d’une période historique à l’autre, d’un magicien américain, asiatique ou européen, au point que je me retrouve téléportée dans un univers étrange et étranger où je m’inquiète au sujet de mon « identité » (ne serais-je duplice ? schizoïde ?), et que le plus grand apaisement qu’on puisse m’apporter est de me faire croire que je ne suis pas la seule à ne pas saisir les blagues en anglais, les trucs, the tricks and tweets.

Ce que je cherche dans ce spectacle – tout comme dans une page écrite ou lue – est une musique. Tout ce que ma tête charrie pendant le temps de la performance – images, voix, bribes d’idées – passe par la recherche d’une musique qui est censée me séduire, me rendre présente là, dans l’instant même où la scène se déroule. Je ne sais toujours pas comment cela se produit en moi. À plusieurs endroits, le spectacle Natural Magick  a fait vibrer ma curiosité, surtout lors de la magie des tasses, du vol ensorcelé des papillons de papier, ou pendant les histoires sur le magicien Houdini. Pour ce spectacle particulier, il s’agissait de musique au sens propre : dès l’ouverture du show, les chansons d’un film projeté en arrière-fond, remplissaient ma tête, et j’avais l’impression que je devais les comprendre, décoder leurs paroles comme autant de paroles clignotantes, deviner comment l’apparition de l’acteur sur scène allait se présenter. La chanson arrêtée, ce fut là le déclic : avant que le décor ne change, je savais que ce spectacle serait raconté à plusieurs voix, une sorte de polyphonie ensorcelante qu’un seul homme – car il est question d’un one-man-show – allait tenir. Ce serait un chant fervent, ondulé, modulé sur l’idée de d’infinité des jeux de la magie, lié aussi à l’idée du pouvoir magique de l’artiste, au charme et à l’étrangeté du souffle qui porte le texte ; retrouvailles avec les racines du mot inspiration, magie inspirée ; oui, ça soufflait, ça chantait, s’ajoutant, s’accumulant – et je suis sortie du théâtre avec cette voix résonante, comme si le texte continuait de se lire à haute voix.

Je me dis alors que c’est la musique, la magie : élément catalyseur qui transforme, intégralement et brusquement, tous les ingrédients hétéroclites, tout le bric-à-brac invraisemblable dont je parlais au début, et qu’on a recueilli en vue de cette cuisine : observations sur le vif, influences artistiques, impressions, expériences amoureuses entendues ou rêvés, visages et voix… Oui, tout cela est indispensable, tout cela est rien sans la musique.

Je ne sais d’où elle vient. Je voudrais seulement qu’elle continue de me chanter ; qu’elle ne s’arrête pas. Car ce sont des instants fragiles : à la fin de chaque page écrite, menace le silence terrifiant que l’on redoute, toujours, définitif.

Et puis, à l’horizon, se mettent à bruisser quelques notes éparses.