25/08/2011

question

... dit le Corbeau : plus jamais. 
Je peux me taire si vous voulez.
Bonne idée. Oui, taisez-vous un peu. 
Mais pourquoi me semble-t-il toujours que les choses se fanent, se flétrissent, s'éloignent de moi, s'étiolent, s'écroulent, se meurent - pourquoi cette perte perpétuelle et sans merci, incontestable malgré toutes les preuves du contraire ? 

23/08/2011

rêve

Rêve d’une rare netteté dans lequel je dis : « il est presque toujours faux qu’on ne puisse vivre sans quelqu’un ». On était sûrs, A. et moi, de ne pouvoir vivre l’un sans l’autre – je me souviens comme mon âme mourait de faim si je devais passer plus d’un jour ou deux sans entendre au moins sa voix au téléphone – et voyez ça : près de sept ans que je n’ai plus de ses nouvelles, et on continue tous deux à se battre pour notre brillante carrière.
(Cela m’est intolérable, comment les gens font-ils pour le tolérer ?)

Quand on s’était rencontrés à la conférence d’Amsterdam, littéraires et l’un et l’autre, il s’était produit cette chose inouïe, sans précédent : la fusion du corps et de l’esprit. Ces divisions n’avaient plus d’importance, plus de sens. Ainsi, tu m’aimes pour mon corps ? Mais c’est magnifique ! Ainsi tu m’aimes pour mon esprit ? Mais c’est extraordinaire ! Ainsi, tu es prête à faire l’amour avec moi parce que tu as lu mon livre ? Tu trouves que ma beauté dénote assez d’intelligence pour justifier ton intérêt spirituel ? Tout cela miraculeusement mélangé. Qu’on essaie d’être ensemble était juste : c’était aussi simple que ça.

On parlait, on flânait, on lisait à haute voix les journaux et des poèmes. Oui, quand on tombe amoureux, la réalité devient d’une beauté ineffable, la surface de la terre est irisée, comme si on la voyait à travers des larmes de bonheur, et on est convaincu que l’amour viendra à bout de tous les obstacles… Bras dessus, bras dessous, on marchait ensemble à Amsterdam, et même les quartiers industriels les plus hideux étaient gracieux, à la hauteur de l’immensité de notre cœur, ce lien entre nous qui semblait presqu’un lien de sang ; oui, c’est sans doute A. qui, de tous les hommes que j’ai connus, a le mieux incarné mon frère jumeau perdu…

Après notre séparation à l’aéroport, il était avec moi en permanence. Il m’habitait, m’accompagnait, invisible mais présent, je regardais le monde à travers ses yeux et du coup, j’aimais mieux ma vie, moi-même, voire mon mari ; savoir que A. existait sous le même soleil que moi, donnait à chacun de mes gestes un sens supplémentaire… J’étais plus courageuse chez le dentiste, capable de supporter la douleur grâce à l’aura de cet homme qui flottait dans la pièce, m’aimant. Mon enseignement de même s’améliora parce que je parlais plus fort pour son oreille absente, et que ses yeux m’encourageaient. L’idée de A. a réellement changé mon existence.

J’étais convaincue que cet arrangement était indestructible et que ma vie était enfin sur les rails, que rien, désormais, ne pourrait éclater ni s’effondrer, que j’allais pouvoir traverser tous les passages.

Je suis en train de transformer cette histoire en blague alors que ce qui est arrivé est tout sauf drôle.
J’ai perdu A.
On vécut encore un an ensemble entre voyages et rencontres furtives, entre l’Amérique et l’Europe, au cours de laquelle – par obstination ? colère ? sadisme ? masochisme ? – pour finir, on dut admettre que c’était sans espoir.
Comment aurais-je soupçonné après des jours et jours d’exaltation, après les rêves qui devenaient si facilement réalité et me faisaient pousser des ailes, comment aurais-je imaginé que l’être amoureux est en fait un miracle très fragile, susceptible de se faner comme une violette, de se réduire à rien, à pire que rien : une pauvre ombre triste, un fantôme sans plus de volonté qu’une méduse échouée sur la plage…

Comme j’ai pleuré !
… Et j’ai dû me relever, bien sûr.

Totalement défaite, dégonflée, à plat. 

19/08/2011

abstract expressionist NY

“There’s no way of looking at a work of art by itself. It’s not self-evident, it needs a history, it needs a lot of talking about; it’s part of a whole man’s life”. Willem de Kooning

The exhibition Abstract Expressionist New York at the Art Gallery of Ontario explores the movement that shifted New York to the centre of the art world and redefined the possibilities of art. “The modern painter cannot express this age, the airplane, the atom bomb, the radio, in the old forms of the Renaissance or of any other past culture. Each age finds its own techniques”, states Jackson Pollock in 1940 when a group of American artists set out to change the face of painting. The Abstract Expressionists shared the conviction that they have to forge a new beginning for art expression. They sought to depict ideals of humankind, prove human beings capable of beauty, creativity and deep emotions. Although their styles differed widely, the Abstract Expressionists believed abstract art was a powerful way to convey personal identity, emotional truth and profound human values.

Beyond words, the exhibition is a see for yourself journey.



17/08/2011

pétrole : edward burtynsky

Pétrole, le titre d’une exposition de photographie qui se tient en ce moment au Musée Royal d’Ontario à Toronto peut être surprenant. Pétrole. Quel imaginaire lui attacher ? Comment le représenter ?

Les paysages en grand format du photographe canadien Edward Burtynsky jouent sur un effet de surprise où se mêlent éblouissement et peur, séduction et dégoût, pour soulever une question qui préoccupe l’artiste depuis trente ans : que devient la nature face à l’industrialisation ? Quel impact du pétrole sur le paysage ? Ou encore, comment penser le chemin du pétrole ? Avec les prises de vue de Burtynsky, le visiteur s’engage dans un voyage saisissant à travers des champs d’exploitation pétrolière en Californie ou en Alberta au Canada, traverse des plateformes gigantesques d’usines d’automobiles en Chine ou aux Etats-Unis ; et dans une autre section de l’exposition, il se retrouve ensorcelé par la spirale des autoroutes sur cinq ou six niveaux à Los Angeles ou Shanghai, pour s'arrêter vers la sortie devant des « cimetières » de pneus de voitures ou de philtres de pétrole. Tout cela dans des images effrayantes et réussies, lumineuses et sombres, qui font preuve de l'art subtil du photographe. Burtynsky sait jouer avec les contrastes pour tenter de percer des dilemmes essentiels : homme-machine, nature-industrialisation, milieu sauvage-métropole.. 

Dans tous ces paysages, un message toujours en filigrane : protéger la planète. Ne pas oublier, par exemple, qu’une voiture fait un long chemin avant d’arriver à nous..
Burtynsky est ici l’artiste qui nous conduit à réfléchir à ce qui est en marge, à l'invisible. Autant de questions et de réponses en ébullition qui feront peut-être leur chemin..

07/08/2011

du bonheur

Le bonheur n’a rien à nous dire. Contrairement à la souffrance, à la tragédie, au mal-être, il est souvent réduit à une série de clichés paradisiaques, sans intérêt. Ce livre à la main - Une certaine idée du bonheur (Sonatine, 2011), de l’américaine Rachel Kadish, que je lis en traduction française - j’ai l’impression de toucher à une question que je me pose depuis un certain temps : en vacances, quelle idée du bonheur ? Comment imaginer une journée heureuse en août ou en juillet ? Ou encore, par quel tour du destin, les gens rencontrent-ils des points de joie lorsqu’ils disposent de leur temps librement ? Quand ils sont en vacances.

Vers midi, dans le grand parc au centre de la ville, plusieurs images du bonheur se déroulaient devant mes yeux. Au moins, de l’extérieur, les protagonistes déployaient des visages de la joie, parfois en tenue festive, affichant des mouvements décontractés du corps… Grande fut ma stupéfaction à réaliser qu’en ce parc, dans un foyer un peu en retrait, une jeune femme et un jeune homme étaient en train de se marier, leur mariage étant officié là en plein air. Tout y était : les mots pointus du maire, puis félicitations, applaudissement, gâteaux, musique, et deux jeunes heureux qui descendaient les marches avec l’espoir de rester unis à vie. Soudain, le parc m’apparaissait drôlement compartimenté en cases bizarres où se mélangeaient extérieur et intérieur, espace ludique et salle officielle, lieu de retrouvailles, de partage d'amour, de possible séparation. Incongrus voisinages !  

Pas très loin, le petit lac témoignait lui aussi de moments de bonheur : parents et enfants glissaient ou se dépêchaient sur la surface de l’eau en barques à pédales. Rires, sourires, moments de plénitude enjoués. Et sur un banc, une mère ou une grand-mère penchée sur un livre ou un journal. A l’autre bout de l’allée, deux petits garçons avec un cornet de glace, tandis qu’un autre, un peu plus grand, s’affairait à courir après un ballon. Au milieu, la fontaine artésienne en forme de centaure poussait incessamment de l’eau comme s’il s’agissait de marquer un trait d’union entre tout ce qui se déroulait dans le parc. L’eau qui coulait enlisait le mouvement continu, lui donnait un brin d’éternité. Il y avait aussi les pigeons qui de temps à autre se posaient par terre à picorer vite les miettes qu’un enfant avait laissé tomber par amusement. Comment ne pas aimer ce parc, cette grande surface accueillante qui donne de la place pour tous ; pour presque tout ? Chacun y trouve une place et de la place. Partage en douceur ; de l’action ou du calme au choix.  

Pour certains, retrouver la nature en pleine ville dans un parc, c’est vivre un moment de bonheur; passager, mais palpable. Pour ceux qui ne sont pas sur la plage ou en montagnes, le parc a cette force magique de projeter dans un ailleurs. Le simulacre n’est pas loin d’être parfait : le lac entouré de sable et un jardin zoo assez grand, y font l’affaire.

Revenons : ma question du début portait sur le bonheur. De quoi est-il fait quand on a une journée à ne rien faire ? Ne rien faire revient à tout faire ; à faire tout selon son gré, son goût et ses moyens, ce qui n’est pas toujours facile (vu qu'il faut choisir). Me revient alors cette autre question : qu’est-ce que j’aime faire réellement, profondément, au fond de moi-même ? Cela, quand il n’y a pas de pression, de contrainte, ni d’emploi du temps. Stupéfaction, évidence : à force d’être cadrée, et pour longtemps, je cherche et cherche… et j’ai du mal à trouver. S’il n’y avait pas de livres, que choisir ? Promenade, amour, enfant, bavardage, café, cigarette, discothèque, fête… autant de visages du bonheur, autant de choix ; mais en quel ordre ?

Après tout, cette page n’aurait pas de sens, si elle ne me ramenait une fois de plus aux mots, à leur magie, aux livres ; et cela parce que mon idée de bonheur est liée à la littérature. En ce sens, je retrouve une certaine idée du bonheur par identification à la narratrice de Rachel Kadish :

« J’adore l’échappatoire qu’ils (les livres) offrent… J’aime la façon dont les livres entament notre ego – nous apprennent que nous ne sommes pas la première génération à être sensibles qu’ait engendrée cette planète. D’autres avant nous ont été lucides et remontés au sujet de mêmes foutus problèmes qu’on affronte encore aujourd’hui. J’aime la partie théorique – essayer de lier les livres aux idées, comme un collier dont toutes les perles seraient différentes » (p. 73).

Enfin, qui ne dirait que chaque « échappatoire » donne quelque peu le goût de la joie ? 
De la surprise au moins, bonne ou mauvaise, qu’on prend pour du bonheur ou de la nostalgie. 



03/08/2011

le cyclop

Au cœur des bois de Milly-la-Forêt, près de Paris, se trouve une œuvre monumentale, une sculpture « cathédrale », l'œuvre testament de l’artiste suisse Jean Tinguely. Intitulée Le Cyclop, la réalisation effective de l’œuvre a commencé en 1969 ; elle a été donnée à l’État français en 1984. Tinguely est décédé en 1991.

Quel message tirer de la visite du monstre de Tinguely ?
Les dimensions gigantesques de l’œuvre, la fascination de l’artiste pour le mouvement, les mécaniques, les engrenages et les matériaux de récupération vous projettent dans un univers d’altérité, de violente étrangeté. Le monstre lui-même dialogue avec une certaine monstruosité en vous. La sculpture en son ensemble semble pousser le visiteur à trouver une faille parlante, longer les traces souvent cachées d’un choc initial afin de pouvoir toucher cet espace intermédiaire entre une première impression superficielle et une autre, plus profonde, qui ouvre vers des interprétations inattendues, des résonnances vibrantes : cyclope, ogre, masque effrayant...quel jeu jouer d'abord ? le Monstre de Tinguely convie à un voyage ludique et déstabilisant. 

Le Cyclop de Milly-la-Forêt