27/09/2011

nostalgie

Voici un mois depuis que je vis dans la ville de Winnipeg, et je pense non pas au sentiment de déracinement, mais à celui d’a-racinement. Je tombe sur cet adage américain : « Je suis parti en Europe pour me chercher, et je ne suis là non plus ». Or, si j’inverse ces mots, je dis à peu près ceci : je suis partie au Canada et je suis absente à cet espace, je ne suis ni ici ni là. Il m’a fallu donc arriver au centre du Canada, à Winnipeg, pour éprouver à fleur de peau le sentiment que je suis nulle part. Que les avenues larges et le paysage plat de stations-service, de fast-food et de boutiques éparses ne me disent pas grand-chose, soit. C’est peut-être le cas de la plupart des expatriés venus d’Europe qui ont laissé dans leur pays natal, montagnes, hôtels du Moyen Age, ruelles étroites en pierre. Reste que je n'oublie pas l'essentiel : je me trouve ici en exil choisi ; donc, ma vie continue, se forme, se transforme, se déforme. 

Et alors, je me pose cette question : comment m’attacher au paysage de Winnipeg ?

Le 25 septembre, je suis allée passer un moment dans le parc Assiniboine ; un tel jour de soleil n’était pas à rater. L’endroit fourmillait de monde, mais si peu de gens me paraissaient beaux – je veux dire d’une beauté vraie, intéressante. Il y avait de jolies blondes mais leur visage était inexpressif, comme touché d’un excès d’innocence. Et presque tous les habits étaient en tissu synthétique, dans des couleurs criardes. Et il y avait de l’obésité. Je ne sais plus si je deviens nostalgique. Comment expliquer la nostalgie, cette douleur exquise, flottante, qui vous saisit à l’improviste, alors que des nuages de larmes se posent sur vos yeux et vous avez du mal à expliquer pourquoi ? Un sentiment paradoxal.

Comme ce n’est pas tout, le soir, en lisant Le Voleur de Bible, le beau roman du Suédois Göram Tunström, je tombe sur un passage troublant. Johan, le narrateur, revenant visiter sa ville natale de Sunne après une absence de plusieurs années, est ahuri des changements qui s’y sont produits :

« Pour moi Sunne avait perdu son caractère. Une obséquiosité, une servilité dans l’architecture me donnait mal au cœur. Ce fut le cas lorsque la nouvelle pharmacie me dévisagea avec le regard d’un étranger. Elle n’avait pas sa place ici. Elle rompait l’unité de la rue en tant qu’espace. C’était comme si quelqu’un avait fouillé dans les corbeilles à papier des villes et en avait extirpé des esquisses d’idées mises au rancart et les avait achetées pour pas cher. Cette pharmacie n’était pas destinée à cet endroit, pas construite selon les possibilités du terrain. L’extérieur n’amorçait aucun dialogue avec les maisons avoisinantes…. La décision de construire avait dû être prise loin d’ici par des fonctionnaires endormis ne soupçonnant pas les rapports entre les choses, l’intimité, même pas dans leur propre lit ».

Certes, l’identification est une attitude commune dans la lecture. À lire ces lignes, je me voyais cet été marcher dans les rues de ma ville natale et observer avec tristesse les compagnies de téléphonie mobile ou les banques en verre, poussées comme des champignons au centre-ville médiéval. Comment s’y retrouver ? Que dire de cette architecture ahurissante qui au nom de la modernité avait écrasé les bâtiments anciens de mon enfance ?

Et Johan d’ajouter :

« Les petites fenêtres en yeux de cochon de la pharmacie me dévisageaient, me disaient que moi aussi j’appartenais à cette manière de penser qui provoquait des monstruosités de ce genre. Nous n’existons pas en dehors de notre époque. Le temps me rend possible et je rends le temps possible. Les souhaits collectifs s’épanouissent dans les actions concrètes de quelques-uns ».

La question se transforme donc : qu’ai-je fait pour collaborer à l’éclosion de la laideur qui m’entoure ? … Je ne sais pas. Quand on voit le soin amoureux avec lequel les villages autrichiens ou français ou italiens s’alignent au fil des routes, décorent les façades avec des fleurs afin que l’œil puisse se réjouir d’une harmonie, on comprend que ceux qui sont nés sur ces terres s’y attachent. Même s’ils partent faire leur vie ailleurs, loin, ils seront toujours émus de revenir et de retrouver ce clocher-là, ce portail-là, cette place pavée de briques rouges.

Comment se fait-il que le Nouveau Monde soit-il indifférent ou si fermé à cet aspect esthétique de la vie ? Que la beauté ait du mal à se transmettre aux générations futures ? Comment faisons-nous pour croire que la laideur ne fera pas de rides sur notre âme ?
Et puis... quelle nostalgie imaginer que je pourrais évoquer un jour ayant vécu à Winnipeg ?

25/09/2011

thin air

Je me souviens de ma perplexité lorsqu’on nous disait à l’école qu’un texte réussi exige un début, un milieu et une fin. Quelles autres options étaient disponibles ? Aujourd’hui, je suis plus consciente du caractère arbitraire d’un tel conseil. Après tout, les histoires peuvent commencer au milieu, elles ne s’arrêtent pas réellement lorsqu’elles se terminent, et d’une certaine manière, tout est au milieu – dès le moment où on traverse le seuil, les fantômes des histoires antérieures apparaissent et chaque fin laisse quelques fils narratifs en suspension dans l’air.

C’est un peu cette impression que j’ai eue ces jours-ci lors du festival des écrivains à Winnipeg, qui depuis 15 ans ce septembre, s’appelle joliment thin air : appel d’air, souffle léger, espace ouvert… à des pensées, et où je suis tombée en plein milieu ; mais au fond, j’étais là pour la première fois. Ainsi, j’ai fait l'expérience assez singulière d’entendre des écrivains du Manitoba parler de leurs voyages pour découvrir le Canada, et des années plus tard, à force d’avoir suffisamment voyagé, pouvoir rentrer pour reconnaître Winnipeg comme un chez soi. Comment ne pas penser à ce que moi, j'ai du mal à intégrer : partir pour revenir ; revenir et reconnaître un lieu comme ayant quelque chose de familier, de lointain ou de natal ?

Sur une autre scène, Dany Laferrière parlait de son dernier roman, Le retour, traduit aussi en anglais. Et lui posait cette autre question saillante : que peut l’écriture pour un pays natal, le Haïti, dévasté ? Les mots pourraient-ils réparer, entre autres, quelque chose d’une enfance qu’on a passée sur cette terre, et qui se trouve aujourd’hui atteinte, brisée ? Toutes ces idées flottant dans l’air cette belle journée d’automne, idées qu’on voulaient ailées et vaporeuses, donnaient à penser à des sujets sérieux : départ, retour, immigration, exil, langue maternelle… Pour un public mélangé, qui pour la plupart vit dans des entre-deux, ces sujets avaient l'air de toucher en profondeur.

Finalement, je mets des mots ici pour retenir quelque chose d'une journée qui m’a fait croire qu’un livre a la force magique de nous faire disparaître (pour une heure ou deux) dans le thin air. C'est ce mouvement vers la lumière qui m'est resté ; que je salue. 

23/09/2011

la peine de mort

Le jour où Troy Davis est exécuté en Géorgie aux Etats-Unis, je suis en train de finir le dernier livre de Catherine Mavrikakis, Les derniers jours de Smokey Nelson. C’est un roman polyphonique, axé essentiellement sur trois voix, très différentes, toutes infléchies par le meurtre qu’a commis Smokey Nelson. Dix-neuf ans plus tard, ces trois destins sont à nouveau fléchis par l’exécution du meurtrier.

« Même s’il ne craignait absolument pas les morts ou Dieu, écrit Mavrikakis, Smokey commençait à comprendre combien ceux qui ont disparu ne laissent pas d’une façon ou d’une autre certains vivants en paix ». Porter des fantômes, écrire des personnages, semble être le même combat pour l’écrivaine ; la peine de mort, les ombres, l’absurde. Elle nous sensibilise ici sur le droit de mourir. C’est une sorte de liberté face à cette condamnation qui fait qu’on ne sait pas quand on mourra, comment.  

Je pense, c’est vrai, que la vie est infinie, mais la lecture de ce roman m’amène vers les limites du sens. Je sens énormément la finitude, dans tout. J’ai l’impression d’être dans un conte à rebours, pas désagréable, parsemé de rire et de douleur, avec des choses que je ne referais pas. Ainsi est-il des livres attachants qui restent avec nous longtemps ; ce sont des voix qui nous font questionner nos propres voies dans le monde. 

17/09/2011

17 septembre

Écrire sur une mouche, Marguerite Duras l’a fait. Elle le raconte dans Écrire. Un jour d’été, dans sa maison de Neauphle-le-Château, elle est restée quinze ou vingt minutes à contempler cette mouche se débattre jusqu’à ce que la vie la quitte. Ce que Duras nous dit ici, c’est que les mots parviennent à transformer l'instant le plus anodin en événement singulier. On dit la mort d’une bête, d’un oiseau, d’une plante, mais pour une mouche… que dire ? C’est dans l’écrit de Duras, dans ma lecture aussi, que cette mouche existe encore aujourd’hui, vingt ans après..

C'est vrai que la plupart d’entre nous, nous contemplons, observons, traversons le monde sans l'écrire. Parfois, il nous arrive même de voir une mouche agoniser, et nous ne l'écrivons pas. Les jours passent, la vie avance ; les heures, minutes, secondes s’écoulent, et soudain, panique (comme moi, ce soir) : qu’est-ce qu’il en reste de ces perceptions, sensations, observations ? Sans doute, nous sommes des surfaces absorbantes, des têtes remplies de souvenirs, des âmes fragilisées de nostalgies, mais tout cela, pourra-t-il remplacer le mot écrit ? Ce mot que d’autres pourront peut-être lire un jour..

Je suis idéaliste si vous voulez. Écrire pour mieux vivre, rêvasser, contempler, imaginer.
Il y a un choix.
L’écrit, ça passe comme le vent, c’est nu, c’est fort, c’est l’écrit, et ça passe comme rien d’autre dans la vie, promesse de quelque chose..

15/09/2011

15 septembre

Sur les lieux de son écriture, Marguerite Duras dit : « J’ai toujours été au bord de la mer dans mes livres. J’ai eu affaire à la mer très jeune dans ma vie, quand ma mère a acheté le barrage, la terre du Barrage contre le Pacifique et que la mer a tout envahi, et qu’on a été ruinés. La mer me fait très peur, c’est la chose au monde dont j’ai le plus peur… Mes cauchemars, mes rêves d’épouvante ont toujours trait à la marée, à l’envahissement par l’eau ».

Moi, les différents lieux qui me font peur sont tous liés à la hauteur, je suis toujours au pied d’une montagne, et très longtemps, j’ai vu des villes perchées entre collines, comme ça, protégées de la hauteur, un peu comme si je ne devais pas encore m’affronter à cette crainte. Et c’est après coup que j’ai compris que c’étaient des lieux protecteurs, non seulement parce qu’ils m’accueillaient, me faisaient une place dans leurs plis, mais ils relevaient d’un espace ondulé de colline de mon enfance ; cet espace avec des rues étroites et pierreuses, d’où le ciel me paraissait une fenêtre illimitée…

À Winnipeg, le ciel est complètement présent, illimité. Et regarder le ciel, c’est regarder le tout, un tout. Cet horizon éloigné m’apporte quelque chose de la peur ancienne de la hauteur. Je marche sans intérêt, indifférente. Et quand je pense à d'autres villes perchées, elles sont là, elles sont encore là ; je les porte dans cette marche incessante. Je sens d’ailleurs que rien de ce que j’ai à l’intérieur ne se perd.

coucher de soleil sur Winnipeg




13/09/2011

13 septembre

Le soir parfois, il m’arrive de lire une page ou deux dans une revue, par curiosité ou ennui. Ce soir, dans la revue Châtelaine, un dossier sur la beauté me donne du fil à retordre, surtout cet article : « Sois grosse et tais-toi », signé par Marc-André Boisvert... Il doit y avoir d’autres comme moi, qui ont du mal à imaginer qu'en Afrique, en Mauritanie, il existe encore de petites filles qui sont gavées pour plaire aux hommes : « Il est nécessaire de passer par là pour trouver un bon mari », dit une femme d’une cinquantaine d’année qui a subi le gavage dans sa jeunesse au prix de la santé ; aujourd'hui, elle souffre de diabète et de troubles cardiaques. 

Cette pratique archaïque fait horreur aux petites de 6 à 10 ans qui doivent vider à peu près dix bols de deux litres de lait de chamelle par jour. Sans oser rechigner, bien entendu ; sous la surveillance d’une femme avec un gros bâton à la main. Difficile de l'imaginer dans notre monde occidental, surtout qu'il s'agit d'un renversement : on souffre pour gagner du poids, pas pour perdre.

Et donc, qu’est-ce qu’on nous dit ? « Le gavage est une pratique dont les origines demeurent incertaines. Elle remonterait à une époque où les pillards étaient nombreux. Plus les femmes étaient grosses, plus c’était difficile de les kidnapper. Leur poids constituait donc une sécurité ». Étrange transmission d'un gage de sécurité qui devient gageure de mariage. « Le déplacement » est grand et sans merci, preuve que les traditions ne lâchent pas facilement sur la transmission. Une telle pratique s'étale sur des siècles et finit  par être une sorte de norme ou de normalité. Reste que malgré tout, la femme, elle, celle qui jaillit dans la petite fille, elle continue de vivre, de grandir, de donner vie… C’est fascinant. 

10/09/2011

10 septembre

Je lis en ce moment dans la correspondance de Flaubert : « Mon roman est le roc auquel je m’agrippe et je ne sais rien de ce qui se passe dans le monde ». Semblable à une question que je me pose pour mon compte : à une ville, peut-on s’agripper pour oublier le monde ?
Lundi le 5 septembre, j’avais noté dans un carnet :

"La tristesse de Winnipeg est comme une des ces chaleurs qui vous brûlent le visage… à Winnipeg, on est l’homme des espaces inconnus parce qu’on vit et qu’on voit à perte de vue ; on marche et le ciel marche avec vous… mais Winnipeg, c’est aussi la pensée maudite d’une fille égarée qui s’embrouille en soi et qui n’en sort pas… d’où une sorte d’accablement… et puis, il y a la lumière ; éblouissante, aveuglante, qui vous réveille de la léthargie". 

07/09/2011

7 septembre

Deux jours et demi durant – pas en entier, il est vrai – j’étais seule, et déjà je suis sinon transformée, en voie de l’être. Le fait d’être seule a un pouvoir sur moi, infaillible. Mon intérieur se dissout (lentement pour le moment) et s’étire pour laisser passer quelque chose d’étrange, de plus profond. Un petit ordre commence à s'aménager dans mon intimité, et je n’ai pas besoin de me presser ; ce qui est difficile à supporter c’est le désordre des sensations.

Il suffit de regarder « le désordre » du monde autour (les médias nous gavent des informations), pour être plein d’orgueil au moment de trouver un peu d’ordre intérieur. Mais gare au rire qui risque de faire sauter en mille morceaux cet ordre éphémère. Allez voir le dernier billet de blog par Pierre Assouline… « finies les lacaneries ! » chez Seuil.. et vous rirez. 


05/09/2011

5 septembre

La vie humaine est si bizarre. Comment peut-elle paraître bizarre quand elle est la seule qu’on connaît ? Ce n’est pas comme si on pouvait se comparer à une autre espèce plus rationnelle, dont les comportements seraient entièrement rationnels, et pour qui l’amour voudrait dire l’amour, la mort la mort, le bonheur le bonheur… sans ambiguïté, tandis que nous autres créatures sonnées, nous ne pouvons pas nous empêcher d’imaginer des scénarios mesquins, de faire mal à ceux qu’on aime.

C’est un peu à ces choses-là que je pensais hier lorsque je marchais dans les différentes salles du Musée des Beaux-Arts à Winnipeg, qui contient une des plus grandes collections d’art autochtone du Canada. Et là, à voir ces statues immenses de femmes métisses ou indigènes, grandes, imposantes avec des traits saillants et un regard sévère, portant leurs bébés sur le dos, dans des parkas en fourrures, je me suis dit que ces êtres sont d’une espèce particulière. Ces femmes représentées ici me fascinaient et me faisaient peur à la fois. Pourquoi ? Parce que je me retrouvais en face d’un autre monde ; moi, j’étais autre, étrangère ; petite, devant ces silhouettes intimidantes. En sortant du musée, je risquais de croiser dans la rue des descendantes de ces femmes-là, les indigènes robustes et saisissantes.

Mais qu’est-ce que vous racontez ? Vous n’avez pas peur, non ?!
Allez, changez de sujet..

Je raconte, je me raconte des bribes d’histoires imaginées sur un monde dont je n’avais pas vraiment idée, enfermée que j’étais dans la « moderne » ville de Toronto ; dans un quartier assez ancien, victorien, mais où on n’apercevait des indigènes qu’ici ou là au coin de Spadina Avenue et Bloor. Il y a une semaine encore, je n’aurais imaginé qu’un Canada profond existe ; et qu’on en a des preuves à Winnipeg. Sur une des grandes avenues du centre, vous croisez des indigènes au feu rouge. Ils sont là ou ils marchent ; ils vous regardent et continuent. Vous croise alors l’idée que quelque chose de mal pourrait vous arriver. Mais n’allons pas jusque là.

En six jours, il est impossible de se faire une impression objective sur une ville. Où est la pression ? Observons aussi ce qui est beau, séduisant, ici. Très vite, à Winnipeg, j’ai observé la lumière : le grand ciel ouvert à perte de vue des prairies canadiennes. Et c’est plaisant, presque envoûtant. C’est cette sensation que les journées s’étendent, sont lisses, et pleines d’espoir. Du moins, c’est l’image positive que je m’en fais.

Puis, cette ville est fascinante par son architecture massive : des bâtiments solides en pierre, posés depuis plus de deux siècles sur cette terre qui au XIXe siècle et jusqu’aux années 1920, était un des endroits les plus prolifiques du Canada. Pourtant, des événements comme la Première Guerre, la Dépression, la grande inondation de 1950, ont fait que Winnipeg a perdu sa place de relais économique important entre l’Ouest et l’Est canadien.

Mais ce n’est pas tout perdu. Aujourd’hui, la ville – je le lis ; on me le dit aussi – retrouve sa vivacité du début du XXe siècle. Le centre-ville s’améliore, l’Université de Winnipeg ouvre de nouveaux centres de recherche… Il y a beaucoup de musique en cette ville : des festivals, du jazz, des concerts classiques. Puis, le Ballet de Winnipeg, le plus ancien du Canada ; les compagnies de théâtre en anglais et en français ; le Osborne Village, on dit le quartier le plus habité, plein de restaurants, de cinémas etc… Et quoi encore ? Saint-Boniface, la ville francophone, de l’autre côté de la Rivière Rouge.


Bientôt, dix jours depuis que je suis ici : beaucoup ou peu ? D’après Stella, c’est très peu. « Tu n’as rien vu ». Mais pour le moment, il me semble que j’ai vu assez d’endroits, de gens et de soleil pour que ma tête tourne de pensées et se retourne sur des clichés, sur des nouveautés… Je fais beaucoup de rêves. Combien peut-on « rêver » d’une journée ? 

ciel à Winnipeg, Portage avenue

01/09/2011

le Témoin

Comment vivre sans Témoin ?

Non seulement les quelques amies au lycée, à l’université, pour ne rien dire des hommes dont j’ai été amoureuse, mes amis hommes et femmes, chacun de ces êtres tour à tour a été mon Témoin, comme j’ai été le leur... Les conversations cœur à cœur, les secrets partagés, recommençant encore une fois, se fiant, se méfiant avec la même innocence, la même sottise parfois : voici ce qui s’est passé, ma sœur a fait ci, mon compagnon a fait ça, sois l’être qui me connaîtra, qui m’acceptera telle que je suis et je ferai de même pour toi…

Mais il y avait toujours chez l’autre, une petite chose, un défaut minime, une faiblesse, une tache aveugle, qui le disqualifiait pour le statut de Témoin absolu. Oui, j’éprouvais toujours une légère réserve ou réticence. Ah ! la complexité insondable des interactions humaines, chacun de nous se baladant avec ses petits critères selon lesquels on juge les autres, tout en s’efforçant de répondre à leurs critères à eux, mais discrètement, en faisant semblant de n’être que soi-même et de n’avoir besoin de l’approbation de personne…

Ce qu’on voudrait au fond, c’est un deuxième soi.
Seul un autre « je », se tenant à distance respectueuse et observatrice du premier, aurait la bienveillance et l’empathie nécessaires pour jouer le rôle du Témoin…

Et qu’est-ce qu’on fait si on atterrit dans une ville complètement nouvelle ? Pas de Témoin sur place, pas de connaissances ni d’amis, seule clignote bienveillante la voix intérieure. Par ailleurs, presque tous que j’ai considérés à un moment donné comme des Témoins ont disparu. Ma bonne amie a déménagé ; une autre tout en restant à Toronto s’est éloignée ; d’autres encore sont morts. Certes, des êtres sympathiques continuent de peupler mes journées et mes nuits : mais je ne peux pas recommencer. C’est terminé. Je suis trop lasse pour croire aux histoires des autres. Trop lasse pour leur raconter la mienne une fois de plus. Elle est devenue trop longue ; un puzzle fou de sentiments. Je préfère mentir, m’inventer une nouvelle identité pour chaque nouvel être qui croise ma vie, comme je le fais pour chaque page ici. Ou alors presque rien dire. Tester le silence avec des inconnus.