26/09/2012

festival littéraire


Hier soir, dans la salle du théâtre à la Fourche, vivre à Winnipeg m’a semblé soudain intéressant, j’étais même curieuse d’entendre les deux écrivains qui devaient parler de leurs derniers romans. La salle était pleine et une musique pas trop forte rendait l’ambiance chaleureuse, bon enfant. Sur un grand écran, on lisait : Thin Airle foyer des écrivains du 21 au 29 septembre 2012, l’affiche du festival littéraire dont j’avais entendu parler l’année dernière.

La soirée ne m’a pas déçue. Richard Ford (écrivain américain connu, qui publie un roman à titre intrigant, Canada) et David Bergen, auteur canadien à succès, dont le dernier roman s’intitule The Age of Hope, ont entretenu un dialogue vif, avec des analogies surprenantes, drôles, piquantes, mais pas méchantes, entre le Canada et les Etats-Unis, le ton étant sérieux et léger à la fois. Ils ont d’emblée raconté des histoires, dit leur perception des Prairies et du Canada, leur attirance pour le ciel infini et la nature d’ici, et une admiration pour les gens des lieux. Finalement, l’écriture est une trace de ce ressenti, de l’expérience.

Il était tard quand je suis sortie du théâtre. La nuit semblait calme, profonde, peut-être trop calme pour un quartier qui bouge beaucoup pendant la journée. La Fourche - certains le savent - est connue comme le centre historique de Winnipeg, la confluence de la rivière Rouge et Assiniboine. Depuis le XVIIIe siècle, les Amérindiens (Cris, Sioux, Assiniboines) y venaient pour échanger et troquer. Aujourd’hui, c’est surtout le Marché de la Fourche qui attire, et le Musée canadien des droits de la personne, dont on dit qu’il s’ouvrira (si le financement va bon train) en 2013.

Thin Air, donc, drôle de nom pour un festival littéraire. Certes, l’air a une présence dans les Prairies, car il vente souvent et parfois fort. Mais cet air est-il raréfié ? Thin Air voudrait-il dire alors air pur, non pollué, poreux, porteur d’histoires …? Qui sait ? Peut-être. Disons qu’en septembre quand a lieu le festival, l’air est frais, tonifiant, cette année il a été même très froid, surtout le 20 septembre. La météo disait qu'on avait battu un record de 1867 avec des températures descendues à -7 degrés la nuit.

Hier soir donc, il était tard quand on sortait du théâtre. J’étais assez contente et surtout éveillée, comme si la fatigue de l'après-midi s'était évaporée. Dans la nuit, les vues très réussies, époustouflantes, des photos des Prairies de Mike Grandmaison – en diaporama sur le grand écran pendant la soirée – étaient encore avec moi. Ciel et champs de seigle, fleurs rares, tablettes de terre en couleurs différentes, tout cela me faisait imaginer qu’un jour j'irai voir le Manitoba. La campagne, ces paysages…

23/09/2012

sur le rêve


Freud tient des propos intéressants dans sa « Contribution à l’étude des aphasies ». Il explique comment dans l’aphasie l’on peut être dans le langage n’étant plus dans la langue, que l’on demeure un être de parole tout comme l’enfant est un être de parole avant de parler. Kafka semble en avoir eu l'intuition lorsqu'il écrivait en 1920 dans ses carnets : « Je sais nager aussi bien que les autres, seulement j’ai meilleure mémoire que les autres. Je n’ai pas oublié mon ancienne incapacité à nager, mais comme je ne l’ai pas oubliée, être capable de nager ne m’est d’aucun secours et je ne sais pas nager ». Description saisissante de la présence de la langue maternelle pour celui ou celle qui s’apprête à énoncer ou à écrire, et qui « se trouve » entre plusieurs langues. Langue maternelle présente donc, mais aussi déstabilisante, susceptible de brouiller la construction laborieuse sur laquelle nous nous appuyons quand nous parlons une langue étrangère.
Dernièrement, j'ai été assez surprise de réaliser que si je suis fatiguée, mélancolique, triste, plusieurs mots de la langue maternelle font irruption dans la langue que je suis en train de parler : le français ou l’anglais, en fonction de l’interlocuteur. Dans la colère aussi, la langue de la mère est la première qui surgit, car c’est dans ces moments-là, de furie et de trouble, que je m’aperçois à quel point les mots français ou anglais me restent extérieurs, sans prise sur le corps, incapables de porter l’émotion. Ou au moins, c’est la perception que je m’en fais, comme si ces mots n’avaient jamais été inscrits pour moi.
Je reviens à Freud qui dans la même « Contribution » avoue avoir « vu et entendu » ses derniers mots avant de mourir. Freud précise que ces mots n’étaient pas esquissés, mais bien réellement imprimés. J’ai vécu, déclare-t-il, cette expérience étrange qui consiste à vivre la fin de ma vie, à vivre mes derniers instants. Il fait ainsi la relation entre l’étude des aphasies et lui-même, pour affirmer qu’il ne s’agit pas d’une forme d’oubli, mais plutôt d’une forme aiguë du souvenir. Le rêve raconte : « Je me rappelle que par deux fois, je me suis vu en danger de mort ; la perception se produisit chaque fois de façon soudaine et, dans les deux cas, j’ai pensé : ‘‘Cette fois, c’en est fait de moi !’’ Pendant que je continuais ainsi à parler intérieurement, uniquement avec des images sonores tout à fait indistinctes et des mouvements de lèvres à peine perceptibles, j’entendis des mots en plein danger comme si on me criait dans les oreilles et je les voyais en même temps imprimés sur une feuille voltigeant dans les airs ». Freud est ainsi en train de raconter un futur fantasmé où il serait atteint de mutisme, mais où l’acte d’inscription pourrait le sauver. À part la peur de la mort qui hante le rêveur, on peut y percevoir surtout la force de l’écriture : écrire, tenter d’éclairer l'effroi ; l'écriture qui éclaire et qui pourrait aussi dompter l'obscur. 
Dans une émission de philosophie sur Arte, Raphaël Enthoven interroge Anne Dufourmantelle sur son dernier livre Intelligence du rêve (Payot, 2012). La métaphore du rêve comme « l’autre pensée », dont parle Dufourmantelle, me paraît intéressante : le rêve comme lieu de la déraison, du paradoxe, une énigme à déchiffrer ; d'emblée, la voie d'expression de l’inconscient, car on rêve sans cesse, le jour et la nuit, quand on s’en souvient et quand on oublie. On pourrait résumer le message de l'Intelligence du rêve ainsi : on est libre de « rêver » notre vie, libre d'être acteur des transformations possibles dont le rêve nous envoie peut-être le signal.

L’oxymore du titre d'Anne Dufourmantelle évoque le « génie » du rêve dans le sens du daïmon grec, cette divinité intérieure qui donne la singularité de chacun - intermédiaire entre l’inconnu de l’inconscient et ce qui fait surface au niveau de la conscience. Ce génie comme énigme qu'on n'en aura jamais assez d'interpréter, décrypter, traduire. Après tout, la quête du sens donne sens à notre existence sur terre, puisqu'on sait qu'on est mortel. 
  

19/09/2012

prix littéraires

Catherine Mavrikakis est la première sélection du prix Femina : Les derniers jours de Smokey Nelson (Héliotrope 2011 et Sabine Wespeiser 2012)

take this waltz


Je connaissais la chanson de Leonard Cohen mais pas le film du même titre, le dernier réalisé par la Canadienne Sarah Polley. 

Pourquoi faut-il que nous nous interrogions sans relâche ? Pourquoi le couple qu’on croyait tranquille s’avère finalement fragile ? Je serais restée encore là, dans la salle de cinéma, à me poser ces questions si le concierge n’avait pas commencé à passer le balai pour ramasser le popcorn tombé par terre. D’aussi loin que je me souviens, des textes, films, expositions nous rappellent que le monde est sans repos, que l’être et le monde sont infinis. Le cinéma, l’art, la philosophie, la psychanalyse font œuvre de discernement en direction de la question de l’être, du monde, du sujet, et dans ce sens, ils ont une  « vocation prophétique ». Me traverse alors l’idée que Take This Waltz recèle une vocation, qu'on pourrait imaginer prophétique, sur la rencontre, la jeunesse, l'amour..., l'expression venant de Derrida, qui entend par vocation l’espace de toute réponse possible. Le film donc, qui raconte l’histoire assez vraisemblable d’un couple marié à l’épreuve d’un autre non-marié, s’inscrirait à partir de ce lieu où toute réponse est possible parce qu’il met en lumière cette ouverture radicale sur l’autre. Une ouverture qui empêche le discours de se clore sur lui-même. ‘In life there is a hole… don’t waste your time trying to fill it up’, dit un des personnages comme si de rien n'était. Mais est-ce si innocent ? 

De tous les échanges du film, cette phrase m’est restée, et là non plus, ce n'est pas innocent, car je connais ma lutte avec le « trou » de l'existence que je tente de ne pas boucher. Sarah Polley, en écrivant son script, a-t-elle anticipé la détresse - le trou - qui fait l'humanité de l'homme ? Sans doute, à moins que la détresse ne soit pour elle qu’un état transitoire dont il ne faudrait pas s’affliger puisque la faille est inhérente à la vie. Quoiqu’il en soit, Take this waltz m'a plu. J’y ai senti quelque chose de « prophétique » : un fil de pensée et de sensibilité dans les personnages, dans l’histoire, quelque chose qui est là pour frayer un chemin de veille, non pour enseigner une leçon, mais pour risquer encore plus loin la question de la fragilité et de la force de l’amour. 

12/09/2012

des nouvelles


Tout à l’heure, lorsque je rentrais d’une classe de yoga – la première depuis quelques mois – j’avais l’impression de marcher avec une lenteur inhabituelle. Les pieds me soutenaient mal, j’étais trop fatiguée.

Dix minutes plus tard, devant l’ordinateur, j’ouvre ma boîte e-mail et découvre un message troublant d’une professeure qui m'est chère, et qui souffre d’une méchante maladie. Elle écrit pour donner des nouvelles et dire qu’ils ont repris leur blog. Ainsi, je lis que sa physiothérapeute lui conseille de faire des exercices pour renforcer les muscles des doigts, très affaiblis depuis qu'elle est malade. On lui suggère de se remettre à écrire, à utiliser le clavier ; quelques minutes, chaque jour. L’histoire me touche parce que cette professeure avait l’habitude d’écrire, elle écrivait bien, très bien. Souvent, dans des cours, elle essayait de nous transmettre l’amour de l’écriture. La maladie l’a coupée de cette pratique. Aujourd’hui, l’imaginer devant l’ordinateur en train d’écrire, me fait penser à Proust. Elle, qui enseigna longtemps La Recherche, connaît bien cette phrase qui dit que la vie « réellement vécue » serait celle écrite. Que cette vie soit déjà douloureuse sans l’écrire, et qu’en l’écrivant, on ranime cette douleur, pas besoin de le dire. Malgré tout, il reste peut-être l'espoir que l’écriture lui fasse sentir qu’elle n’est pas seule ; qu’il y a un fil invisible et fort entre les douleurs des humains ; une ligne de partage. Et qu'il y a aussi des joies qui reviennent. Ce serait la définition de l'écriture et de l’amitié.

Je pourrais ajouter ici cette évidence : que les grands malheurs de l’histoire nous aident à voir notre propre malheur avec un peu de distance. Est-ce vrai ? Peut-être. Certes, le diaporama sur le camp de Milles, « le seul camp français d’internement et de déportation resté intact » en France, me déplace de la maladie de Madame C. à l’horreur de la Seconde guerre. Comment en sommes-nous arrivés là ? Cette question, je me la pose depuis que je sais que la shoah a existé. Les dernières années, j’ai lu des récits et des romans, j’ai vu des films, des expositions. Aucun récit ne me paraît satisfaisant pour raconter ce qui s'est passé. 

« Ne compare pas : le vivant ne se compare pas », dit l’épigraphe du beau roman de Perrine Leblanc, L’homme blanc, par Ossip Mandelstam. Cet écrivain qui connaissait le goulag, devait savoir long sur les malheurs qui sont incomparables. 

Disons qu'on cesse de comparer, de faire des liens, des corrélations. Pourrons-nous vivre alors chaque événement pour lui-même ? On va s'apercevoir je crois qu'il est impossible de le détacher du magma d'émotions, de sensations, de souvenirs qui nous contiennent en tant qu'êtres sensibles. 

À penser encore à ma professeure, comment intégrer que c’est comme ça ? Qu’on ne puisse faire rien… médecine, Dieu, s’il existe… ?  

Reste l'écriture. Serait-elle presque le dernier recours ? 

10/09/2012

banalisation du mal

"Banalisation du mal", c'est un gentil euphémisme pour caractériser le pamphlet provocateur de Richard Millet, Langue fantôme suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik, qui vient d'être publié chez P.-G. de Roux, et qui fait couler de l'encre en France. Colère, dégoût, stupéfaction, les écrivains s'insurgent, écrivent, appellent à penser. 

Ce matin, Annie Ernaux écrit dans Le Monde

"J'ai lu le dernier pamphlet de Richard MilletLangue fantôme suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik (P.-G. de Roux, 120 p., 16 €) dans un mélange croissant de colère, de dégoût et d'effroi. Celui de lire sous la plume d'un écrivain, éditeur chez Gallimard, des propos qui exsudent le mépris de l'humanité et font l'apologie de la violence au prétexte d'examiner, sous le seul angle de leur beauté littéraire, les "actes" de celui qui a tué froidement, en 2011, 77 personnes en Norvège. Des propos que je n'avais lus jusqu'ici qu'au passé, chez des écrivains des années 1930".

Le Clézio, il y a cinq jours dans Le Nouvel Obs : "La lugubre élucubration de M. Millet"

Le politicien Jean-Marc Ayrault dans Le Monde : "j'ai toujours peur de la banalisation".

Beaucoup se posent probablement ces questions aujourd'hui : quelles limites à la démocratie ? Jusqu'où va la liberté d'expression ?
Ce ne sont que les premières d'une série qui pourrait s'enchaîner...

08/09/2012

"what I learned at university"

Margaret Wente, chroniqueuse à Globe and Mail, écrit parfois des textes assez inspirants, comme celui d'aujourd'hui qui résonne avec la rentrée universitaire -- "What I learned at university". 

Chacun se souvient ou se souviendra un jour de ces années de fac... apprentissages, rencontres, aventures, voyages, ratages...

Les souvenirs de Margaret W. appellent mes propres souvenirs. Encore et toujours, je réalise que je trouvais refuge dans les livres, qu'à cette époque-là, j'ai aussi compris les ruses de l'amitié, le pouvoir et la douleur que confère la beauté, l'innocence de la jeunesse. À ces jeux-là, je perdais souvent, je me perdais car le pouvoir de la vingtaine est plus fugace, plus incertain, plus volatile encore que le pouvoir politique, académique...

Margaret Wente écrit : 

"The most important things you learn at university will last you all your life. Mine go like this:
  • Rewriting something always makes it better.
  • You can go two nights without sleep, but not three.
  • Most people you’ll meet are just as sexually insecure as you are.
  • Ideas are intoxicating and unlike beer, they won’t give you a hangover.
  • Men come and men go, but great art is forever.
  • Everything you really need can fit in the back of a Volkswagen."

07/09/2012

merci


De tous les mots de cinq lettres qui expriment de l’affect : amour, aimer, cœur, bonté, pitié etc, merci semble le plus employé. On dit merci pour un oui, et même pour un non : non, merci. On exprime sa gratitude à propos de tout et de rien. Cette évidence m’est apparue stridente l’autre jour où sur un couloir, deux personnes s’échangeaient : merci pour tout ! – Ce n’était rien, merci !

Il y a des modérés : je veux simplement vous dire merci ; des généreux : merci mille fois ! et encore plus généreux : merci, mille fois merci ! Véritable théâtre des remerciements.

La reconnaissance peut être modeste : un petit merci ou ample : un grand merci.

Mais qui n’observe la surenchère ? Comme si un simple merci ne suffisait pas. Il faut lui donner du volume, le mettre en évidence, l’accompagner d’un autre mot qui donne le sentiment qu’on flatte l’autre, qu’on reconnaît son acte, son geste, sa pensée etc. C’est peut-être pour faire revivre une dynamique où l’un se sent vraiment endetté et l’autre reconnu qu’on dit : merci bien, merci beaucoup, merci merci… Le merci beaucoup est devenu si banal qu’il va falloir trouver un regard ou un sourire qui lui donne l’air sincère. Quant à l’écrire, on le perçoit souvent comme une formule. Et pourtant, cela fait du bien d’entendre, de lire, d'écrire un merci par ci, un merci par là. Dieu merci, il y en aura.