30/10/2012

varia


Lorsqu’à Paris, Le Clézio rencontre des jeunes écrivains coréens, à Winnipeg, le jour se lève sous la pluie. À la radio locale, deux sujets font l’actualité : l’ouragan Sandy, dont les dégâts sont considérables à New York City et à Long Island ; et la visite de Mikhail Gorbachev à Winnipeg, où il participera à une journée dédiée aux jeunes qui s’engagent dans la communauté… Le rapprochement de ces trois événements me semble étrange, forcé, presque irréel. Le titre d’un texte de Nancy Huston me vient à l’esprit : La virevolte - récit fait de fragments, d’éclats de verre, de bribes ; un style coupé au stylet… des phrases inachevées, laissées en suspens.

Le retournement, avais-je dit dans un cours où je devais enseigner La Vagabonde de Colette ; ce mouvement intérieur, une sorte de révolution, un tournant où on tente de questionner ce qui vous a traumatisé. Un autre récit fragmenté. Minimaliste. Squelettique. 

Puis à la radio, c’est la musique. Radio 2 Morning. La musique - magie qui transforme brusquement tous ces éléments hétéroclites, tout ce bric-à-brac invraisemblable que j’ai recueilli en vue de la journée. Je ne sais pas d’où elle vient, cette musique ; pour le moment, je veux simplement qu'elle ne s’arrête pas.  

Winnipeg, October 29, 2012

29/10/2012

un jardin au bout du monde


Pour Maria, je lis Un jardin au bout du monde de Gabrielle Roy, quatre nouvelles sur l’Ouest canadien publiées pour la première fois en 1975 ; des pages sur la vaste plaine aux horizons sans cesse changeants, la fraternité humaine, la confrontation de la solitude et d’un monde à la fois immensément ouvert et cependant impossible à habiter. On a beau savoir beaucoup sur les Prairies, la prose élégante de Gabrielle Roy donne à entendre quelque chose de plus : des images, sentiments, frémissements, tissés par les mots, et qui nous conduisent à percevoir la réalité d’un autre point de vue. L’illustration de la couverture du recueil, un détail de Fence & Barrel par Stanley Brunst – tableau qu’on peut voir à Winnipeg Art Gallery – me rappelle des souvenirs que je croyais oubliés d’un monde de campagne disparu…des traîneaux à cheval, des collines, des petites maisons en bois. Je me suis mise à lire pour voir quelle perception pouvait avoir une écrivaine née au Manitoba sur son pays natal. Expérience singulière, car j’y  découvre des êtres presque attachants, un monde isolé mais chaleureux, rempli d’humanité, des immigrants qui se battent avec le milieu hostile et parviennent éventuellement à faire une vie ; comme le Chinois exilé de Chine dans le récit « Où iras-tu Sam Lee Wong ? » :

« Avec le temps, Sam Lee Wong devait se faire à l’idée d’un village englouti dans le silence à en paraître déserté ; à de petites maisons de bois grises, moroses, où un son s’en échappait-il, aussitôt le vent s’en emparait, l’étouffait dans sa plainte perpétuelle ; il devait se faire à cette autre forme de solitude, mais pour l’instant il crut presque tout le monde parti ». (56)

Le matin, je relis ce passage. Je suis ce Chinois, sans difficulté, comme je suis le visiteur inconnu qui frappe à la porte de la famille de l’écrivaine, dans la première nouvelle « Un visiteur frappe à notre porte ».



27/10/2012

plant (iPod) installation - jane tingley


Même avant d’entrer dans la salle d’exposition de la Galerie 1C03 à l’Université de Winnipeg, j'entends un murmure surprenant, comme s’il venait d’une petite rivière ou d’une forêt quand il pleut. Ou serait-ce le souffle d’une respiration humaine ? Écoutant plus attentivement, je réalise que le son vient d’une radio ou d’un CD peut-être, en tout cas, d’un enregistrement qu’on fait jouer dans la salle où je suis en train d’entrer. Il s'agit d'une exposition sur les plantes - Plant (iPod) Installation : des pots de plantes sans fleurs remplissent l’espace de la galerie - dont j'ai lu dans le journal de l’université. On disait que l’artiste, Jane Tingley - originaire de Winnipeg, qui qui vit et travaille à Montréal depuis la fin de ses études à l’Université Concordia en 2006 - tente de représenter l’intégration des plantes au milieu urbain et leur compatibilité (un peu étrange) avec les nouvelles technologies. Elle donne justement à voir une plante iPod qui raconte des histoires (légendes, contes, mythes, lullabies) sur la nature. Une voix se met à vous parler dès que vous vous approchez du pot. On pourrait les appeler des plantes parlantes ; marchant parmi elles, je n’ai pu m’empêcher d’imaginer une sorte de devenir-humain de ces plantes, et naturellement, une immersion de l’homme dans la nature grâce à l'art ancestral de raconter des histoires. Par ailleurs, l’espace de l'exposition lui-même maintient une certaine ambiguïté, un va-et-vient entre la nature et la galerie qui fait semblant de paysage naturel. Ainsi est-il que les fils électriques sur le plancher peuvent représenter des racines sorties du sol ou peut-être une toile d’araignée géante comme dans la forêt amazonienne. Tout semble être là pour que le visiteur se demande : suis-je dans la forêt ou dans un musée ?

Sous un autre angle, l’installation dégage une réflexion sur des dichotomies connues, comme la nature vs. la culture, la nature vs. la technologie, qui se retrouvent ici remises en question. C’est la preuve que l’art contemporain transgresse les frontières traditionnelles et secoue nos perceptions établies pour nous permettre de croiser l’inédit, l’inattendu, même si cela s'avère peut-être dérangeant ou incongru. Selon moi, l’exposition de Tingley soutient d'emblée que l’art de raconter des histoires et la nature sont étroitement liés, que chaque élément qui nous entoure est susceptible de nous « dire » quelque chose. Il nous faudrait juste nous approcher, pencher le regard, prêter écoute pour qu’une histoire démarre… même jouée sur un iPod. Des gestes simples qu’on a tendance d’oublier, et alors, c'est l'art qui a la grâce de nous les rappeler. Quand le message passe et qu'une émotion nous saisit, c’est presque l’émerveillement.

Plant Installation - du bel émerveillement par un jour de début d’hiver, quand l’ouragan Sandy, dit-on, s’approche du sud de l’Ontario et jusqu’au Manitoba.

 Plant Installation

23/10/2012

une journée


Les certitudes, convictions, appartenances et adhérences, les joyeuses grégarités de toutes sortes : pures fictions. Même la pluie fine qui tombe ce matin m’est suspecte. J’ai écrit la première carte postale de Winnipeg à ma grand-mère l’automne dernier, en même temps que je m’installais dans la ville. On se parlait assez souvent au téléphone, et elle me demandait constamment : Comment c’est là où tu es ? C’est quelle ville encore ? Tiens bon, résiste, tu finiras par t’habituer ; tu vas aimer. C’est l’automne encore une fois et ma grand-mère me pose à peu près les mêmes questions. Hier, je me suis précipitée à  Shoppers DrugMart pour chercher une carte postale, avide de déposer des mots pour elle : Il fait encore bon à Winnipeg, même si les arbres ont déjà perdu leurs feuilles dans une tempête avec des vents forts la semaine dernière... Tu verras dans la photo. Le calme de la saison froide ne me déplaît pas, je m’invente des habitudes d’intérieur… Je suis abonnée au journal local ; il y a quelques jours, je lisais qu’à Vatican on avait canonisé la première sainte canadienne amérindienne - Kateri Tekakwitha

De la part de ma grand-mère, toujours le même message – tiens bon – tu y es presque… C’est ainsi que j’aime raconter cette histoire.

vue de Winnipeg  

21/10/2012

globe cinema


Dans la salle de cinéma, les gens assis derrière moi, qui parlent français, me rappellent que je suis au Manitoba ; pas au Québec, ni à Paris. Ils ont un accent particulier, chantant, avec des « r » roulés et des voyelles allongées, ce qui rend leur conversation chaleureuse, un peu mélodieuse, ou du moins, c’est ma perception. Le plus difficile à expliquer c’est que ce mode de parler n’évoque pas grand-chose dans mon esprit, tout comme ma façon de parler – si ces gens m’entendaient parler – n’évoquerait probablement rien dans leur esprit non plus.  En attendant que le film commence, de vagues images de paysages – des montagnes ou des routes qui longent des villages – me traversent brièvement, et je me désole de ne pouvoir prononcer des mots pour suppléer le vide que crée l’écart entre la ville où je vis, Winnipeg, et celle où j’ai été née en Europe. Certes, le film commence : Amour de Michael Haneke, Palme d’or cette année au Festival de Cannes, qui par son sujet grave (l’amour et la douleur d’un couple de 80 ans où la femme tombe malade, paralysée du côté droit) balaie ma nostalgie. Celle-ci est vite remplacée par une question sérieuse que pose le film : « Que devient l’amour avec le temps qui passe, avec la vieillesse ? ». À la sortie de la salle, pour la première fois, j'observe le nom du cinéma : Globe, écrit avec des ampoules allumées. Globe cinema, « globe », global, globe-trotter... quelque chose de global, d'universel... Je suis venue à me dire que les grandes questions « globales » de notre condition humaine : amour, vie, vieillesse, maladie, on se les pose partout ; ici à Winnipeg ou ailleurs. Soudain, avec cette prise de conscience simple et banale, la ville de Winnipeg ne me semblait plus aussi isolée, ni entièrement coupée du monde, mais connectée à je ne sais quel endroit réel ou imaginaire, peu importe. Pour l'instant, c'était une ville ouverte, pas une prison à ciel ouvert, et cela, grâce au cinéma. 

Après tout, il se peut qu’une partie du secret de la bonne vie à Winnipeg tienne à un bon film. Simplement. 

Globe Cinema, Portage Place, Winnipeg