31/08/2013

samedi


Elle écrit des poèmes et met en scène des pièces de théâtre. Son dernier recueil Black and White, arraché dans l’urgence en moins de dix jours, se lit comme un cri de désespérence : déchirement du cœur et du corps, crainte de se perdre dans le trop-plein d’émotions et de pensées. Serait-ce entre autres l’angoisse de la rentrée désespérante qui s'en vient ?


Je ne suis pas la seule à constater que la saison est en train de changer. Les jours raccourcissent. Il fait presque sombre à 20h20. Dans mon imaginaire, les couleurs de l’automne flottent diaphanes, lorsque dehors, l’air lourd et humide me fait encore penser à un été capricieux. Le 13 de 2013 n’a pas réussi son tour de magie.


- Si je devais décrire Winnipeg en trois mots ? Ville des contrastes.

 

30/08/2013

retour


Je suis  rentrée à Winnipeg mardi après-midi par une chaleur étouffante. Les quelques pas que j’ai faits en sortant de l’aéroport climatisé pour monter dans un taxi m’ont donné la sensation presque palpable que j’allais m’évanouir. Le soir, j’entends à la radio qu’un record de chaleur a été battu : du jamais vu (ressenti) depuis 1954.

Sur la porte de mon appartement ce matin, quelqu’un a collé une feuille jaune sur laquelle je lis : ‘Some of us might find happiness if we quit struggling so desperately for it’ -- William Feather. Quoi que je dise pour tenter de donner sens à cette ligne compte moins que la sensation d'un rappel perdu de vue que ces mots ont produite en moi.  

Devant un des bâtiments de l’université, un panneau de bienvenue pour les nouveaux étudiants affiche trois verbes en guise de bonne rentrée, comme on dit : Discover. Adapt. Achieve. Ces verbes, résonnent-ils en moi ? 

26/08/2013

ma vie en dormant


J’aime dormir : je n’éprouve le sommeil ni comme un repos ni comme un spectre de la mort. Aux nuits opaques de mon enfance avaient beau succéder les rêves colorés d’une jeunesse agitée d’intrigues sensuelles, Freud a tout dit à ce sujet ; la mort tragique de mon père a eu beau creuser le pli d’une insomnie régulière, une heure après minuit tapante, depuis quelques années déjà – rien n’y fait. Le sommeil est ma seconde demeure. Seconde langue, seconde nature. Etranger et familier à la fois, le sommeil m’a toujours été refuge, source et recommencement. Serait-ce la raison pour que seuls les dormeurs-rêvers peuvent éventuellement appréhender et témoigner de leur sommeil et de leurs rêves ?

Le petit Marcel rêvait de scènes sadomaso, une manière de transgresser entre les impensables crises d’asthme et ses pures méditations d’écrivain penché sur le temps retrouvé. Mais il n’ignorait pas pour autant le sommeil profond, qu’il désignait comme un « second appartement » dans des intrigues romanesques, comme le sont les premiers rêves analysés par l’inventeur de la psychanalyse. Rien que des sensations douloureuses, des lumières éblouissantes, sonneries stridentes et violents réveils. Proust le dormeur-rêveur semble réussir là où le névrosé en analyse échoue : en nommant l’irreprésentable sensation. Tout en découvrant l’impossibilité de se représenter (de dire, de peindre, d’en faire de la musique), les rêveries sont-elles douloureuses ou extatiques ? 

22/08/2013

molière à bicyclette


Il y a des vérités qu’on a besoin de colorer pour les rendre visibles. Celle-là, si c’en est une, ne pourrait être plus transparente, on ne pourrait avoir davantage le nez dedans. Elle est trompeuse de simplicité comme cette image d’une vieille dame dont les traits rabougris, d’un autre œil, forment la silhouette d’une jeune fille. Avais-je eu auparavant l’impression – disons un amusement un peu craintif – d’apercevoir dans la rue des personnes connues ? Peut-être, oui, quand j’étais assise dans un café près de la fenêtre et de temps à autre, je levais les yeux du journal que j’étais en train de lire ; l’espèce d’illusion optique qui vous fait tressaillir. J’étais dans un état flottant jusqu’à ce qu’une voix le brise : ‘Can I take this chair, please ?’ Alors, je les mettais ensemble, l’illusion et l’image de la « vraie » personne, pour tenter de saisir quelque chose d’impossible : l’absence.

N’est-ce pas ce qu’ils font entendre parfois, les romans, les poèmes, certains films ? Dans ce film français récent, Molière à bicyclette, l’absence se donne à voir en filigrane, sous le couvert d’un plein de liberté pour un comédien à la retraite (Fabrice Luchini), installé depuis trois ans sur l’île de Ré. Quand un ami de Paris débarque un jour avec ce projet un peu fou de mettre en scène Le Misanthrope, notre comédien n’est pas tout à fait enthousiaste, le cœur n’y est pas, le désir de remonter sur les planches après trois ans d’absence prend du temps à refaire surface. Mais au fur et à mesure, les répétitions pour la pièce s'enchaînent, à la maison ou à bicyclette, au bord de la mer ou dans la salle à manger ; des rencontres de hasard s'enchaînent aussi, de belles sorties. Des amitiés anciennes et nouvelles apparaissent et disparaissent, l’amour effleure, la vie simplement prend des couleurs, de la ferveur. Les choses semblent se mettre en place : les scènes du film sont drôles, légères, justes. Le clair-obscur alterne avec la transparence pour créer la bonne dose de vraisemblance : la vie vécue. Pourtant, la fin nous laisse avec une pointe d'absence, avec le sentiment que quelque chose ne passe pas : la grâce de l’amitié se retire. Dans la dernière scène, notre comédien qui récite des vers du rôle d'Alceste, assis seul sur le sable près de la mer, est l’imagine même de l’homme qui croit aux mots comme dernier recours : ces mots susceptibles d'apprivoiser l’absence. 


19/08/2013

madeleine


Soudain, Madeleine s’est mise à me raconter son histoire. Nous étions sur la terrasse d’un café sur Bloor Street, et de mot en mot, elle est arrivée à faire des liens avec la vie de son père. Madeleine est née à Beirut, et depuis une dizaine d’années qu’elle est au Canada, elle a essayé toutes sortes de petits boulots pour éviter d’être prof « comme son père ». Ce père qui en 1978 au Liban, pendant la guerre, avait repris une école pour la gérer, et trente ans après, il est encore sur les barricades : il travaille, s’acharne, se bat, au point d’y laisser sa santé, d’oublier que les années passent, il vieillit, et il faudrait penser à la retraite. Bref, il ne lâche pas ; continuer donne sens à sa vie. 

Pour sa part, Madeleine (qui n’a pas encore goûté les madeleines de Proust !) ne semble pas exclue de cette filiation d’enseignants. Récemment, la vie lui a fait croiser un événement qu’elle fuyait : reprendre l’école fondée par une amie proche, qui vient de mourir. Par-delà le choc de cette disparition, et plus loin que la surprise de l'offre qui lui tombe dessus, que faire ? Que dire ou répondre ? Le gouffre des questions s’ouvre béant, et le passé-présent du père, qu’elle croyait avoir laissé là-bas, revient : prendre ou pas cette école ? Faire confiance à la vie et se lancer sans cette épreuve ? Répéter ? Et la peur de ne pas être à la hauteur ? La pression, l’angoisse… Une dizaine d’années au Canada donc, et rien ou presque ne semble acquis. La voix un peu tremblante, Madeleine évoque cette sensation cocasse d’être en déplacement permanent ; appel à se renouveler chaque jour, à chercher, à inventer des solutions. La vie. Simplement. 

Je me rends compte que l’histoire de Madeleine fait résonnance en moi, là où je me dis parfois que je mets mes pas dans une filiation connue ou inconnue encore, que je suis en train de faire un chemin que d’autres dans ma famille ont peut-être déjà fait. Qui sait ? 


17/08/2013

"on the road"


Que faire des journées lumineuses, splendides, et presque linéaires à Winnipeg ? C’est la question que je me suis posée hier en marchant sur l’avenue Portage sous un soleil doux qui me donnait l’impression d’être dans une ville inconnue, un peu mystérieuse, dont j’avais envie de découvrir les secrets. Un passant est apparu, puis disparu, lorsque je suis restée avec mes pensées dans une sorte de lenteur où je faisais l'effort de mettre des mots sur ce qui me passait par la tête... « J’ai vu le film On the Road hier soir. Et alors ? ...j’ai trouvé les années cinquante aux Etats-Unis passionnantes… ces trois amis fous de désir pour la vie, avides d’amour, de sorties et d’écriture, voyageurs fervents, sans cesse sur la route. Que dire de leur envie de sillonner ce vaste pays d’un bout à l’autre, de l’est à l’ouest, du nord au sud, de New York à San Francisco, de Denver jusqu’à la frontière avec le Mexique… ? Petite ou grande folie ? Vivre et écrire, écrire et vivre, découvrir, être curieux et noter ce qu'on voit, ce qu'on vit, quel projet plus ambitieux à une époque d'après-guerre où l'écriture se veut un moyen d'inscrire l'intensité de la vie et de penser des plaies de toutes sortes ? Vous vous rappelez peut-être : On the Road c’est une myriade d'histoires de rencontres et de promesses de faire de la littérature. On pourrait le résumer simplement : écrire le roman On the Road en direct et raconter le sillage de cette écriture. À la fin, je ne suis pas la seule, je crois, à se dire en sortant du cinéma que je lirai le roman de Jack Kerouac ».