30/04/2013

"ce qu'aimer veut dire" : mathieu lindon


Un jour, dans un magasin de stained glass sur Ellice Street, qui est aussi atelier d’artistes, j’ai rencontré Adina. Une jeune fille aux cheveux noirs, derrière le comptoir, qui avait l’air de chercher quelqu’un à qui parler. Comme personne n'était dans le magasin, je l’avais aperçue dès mon entrée. Assez vite, je me suis retrouvée avec sa carte de visite dans la main : "Adina Balthazar, stained glass artist". Son prénom, me dit-elle, lui vient du Yémen, où elle est née ; en arabe, c’est le féminin de…. J’ai été un peu embarrassée par son besoin de justification et, sans lui dire que je portais le même prénom, je me suis éloignée. Peu après, je suis sortie. En marchant, j’ai quand même regretté de n’avoir pas regardé les deux dernières pièces du magasin. J’ai conclu que la vanité des inconnus me déplaît.

Dehors, il faisait toujours froid et bleu foncé. Je me suis rappelée le livre Ce qu’aimer veut dire de Mathieu Lindon sur son amitié avec Michel Foucault, que j’avais beaucoup aimé. En chassant une pensée, je tombe sur une autre : à qui n’est-ce jamais arrivé ? Pour vérifier un souvenir, je mets la main sur un livre et je cherche le paragraphe qui m’a touchée, qui est d’habitude souligné. Ce que j’ai fait en rentrant. Lorsque je copie ces lignes, je pense aux rencontres qui peuvent changer une vie… Mathieu Lindon qui a rencontré Michel Foucault ; Foucault qui a rencontré le fils de Jérôme Lindon. Mathieu qui écrit : « À partir de Michel je commence à écrire, et le livre publié m’y ramène autrement. Son intimité circule dans un petit cercle : deux ans après sa mort, il est encore là, concrètement, en plein dans l’actualité de ma vie ». Un peu plus loin : « J’étais le jeune homme de l’appartement mais il n’y avait plus l’appartement ni la jeunesse. Et pourtant l’appartement et la jeunesse allaient encore être là pour m’aider, ma vie durant, tels des prolongements de Michel qui ne m’abandonne pas ».

Moi aussi, je pense parfois aux rencontres qui ont changé ma vie. Moi aussi, il y a des amitiés que j’ai perdues, et à chaque fois qu’une amitié disparaît, je me demande si un jour je vais en faire quelque chose. Vais-je un jour d’été m’asseoir et écrire le deuil ? 

29/04/2013

étendue blanche : winnipeg lake


L’étendue blanche de neige du lac Winnipeg m’évoque paradoxalement le jardin de mes grands-parents en été sans que je sache pourquoi. Ce n’est pas seulement l’horizon apaisé et serein ou le calme de la nature sauvage, et le froid n’a rien pour me faire penser aux jours d’été en Europe de l’Est. Quelque chose tient à moi. C’est comme si cet espace vierge, intact, immaculé, m’était un roman d’apprentissage à lui tout seul ; une page blanche sur laquelle écrire ma vie. Est dit dans Roland Barthes par Roland Barthes :

« J'aime : la salade, la cannelle, le fromage, les piments, la pâte d'amandes, l'odeur du foin coupé (j'aimerais qu'un ‘nez’ fabriquât un tel parfum), les roses, les pivoines, la lavande, le champagne, des positions légères en politique, Glenn Gould, la bière excessivement glacée, les oreillers plats, le pain grillé…

Je n’aime pas : les loulous blancs, les femmes en pantalon, les géraniums, les fraises, le clavecin, Miro, les tautologies, les dessins animés, Arthur Rubinstein, les villas, les après-midi, Satie, Bartok, Vivaldi, téléphoner, les chœurs d'enfants, les concertos de Chopin….

J’aime, je n'aime pas : cela n'a aucune importance pour personne ; cela, apparemment, n'a pas de sens. Et pourtant tout cela veut dire : mon corps n'est pas le même que le vôtre… ».

Mon adolescence sans soucis ne m’a pas préparée à reconnaître ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Elle a retardé ma jeunesse. L’arrivée au Canada l’a enterrée. Du moins est-ce ce que je m’imagine. Barthes avait 60 ans quand il a publié Roland Barthes par Roland Barthes en 1975. Écrire sur soi est toujours un événement de la vie, et à moi, aujourd’hui, dans la trentaine, cela m’est si difficile qu’un tel projet me semble presque une aventure mythique. Pour qui a changé de pays pour vivre, manquera toujours la ligne ininterrompue de ce qu’on aime et ce qu’on n'aime pas. Il y aura invariablement aimer et ne pas aimer avant et après le départ.

winnipeg lake, 22 avril 2013

28/04/2013

woody allen: a documentary (2012)


Il fait jour à 6h du matin à Winnipeg et pour la première fois cette année, j’entends le cri aigu des goélands. Je pense à la Rivière Rouge dégelée enfin, au lac Winnipeg tout blanc, couvert non pas de neige mais de certaines de goélands. Je pense aussi à Woody Allen du documentaire Woody Allen: a Documentary, sorti en 2012. 40 films en 40 ans de carrière. L’homme croit dur comme fer que ça lui fait du bien de faire un film par année. Pourquoi pas. Je me demande : qu’est-ce qu’il est en train de filmer en 2013 ?

J’ai vu que Woody Allen a parcouru un long chemin avant d’arriver là où il est aujourd’hui. J’ai aussi vu que dans le passé, cet homme a plus d’une fois subi l’injure et l’insulte des médias, surtout lors du scandale avec Mia Farrow. Quelques fois, il a dû travailler et travailler, s’accrocher à ses films pour éviter le pire. Donc, Woody Allen a appris à compartimenter. Il devait sauver ce qu’il aimait le plus.

D’autres hommes et femmes ont dû faire la même chose. Oui, d’autres ont mal vécu. Comme Woody Allen, à un moment donné, ils ont peut-être appris à compartimenter leur vie. Pour sauver leur travail, leur routine, leur confort... Pour avoir un peu de consolation par défaut d’amour, parfois. 


26/04/2013

une pensée réparatrice


La cafetière est vide. Malgré toute la caféine que j’ai avalée, je me sens calme. Apaisée. J’ai absorbé les mauvaises nouvelles de la matinée comme un médicament. Le malheur des autres est un remède qui a fait ses preuves. Ça soulage de savoir qu’on n’est pas seul à avoir mal vécu. Je suppose que ça fait le même effet chez les autres, au cas où ils y pensent. Comme Julia Kristeva, qui répète souvent qu'elle parle de son expérience propre à travers des expériences qui nous concernent tous. Je l’ai entendu dire récemment, lorsqu’elle présentait son dernier recueil de textes, Pulsions du temps. Pour elle, écouter, raconter, écrire, c’est voyager dans la mémoire pour faire revivre le temps ; le faire sauter en éclats, en pulsions, ce qui nous fait revivre. « Recommencer le temps, se recommencer », dit-elle. 

Voilà une question qui peut m’occuper longtemps. 


25/04/2013

first position: ballet


Heures de ballet. Une période de ma vie presque oubliée. Quand j’y pense, j’ai l’impression que ces années-là ont été vécues par quelqu’un d’autre. Je ne me reconnais pas dans cette jeune fille élancée qui croyait que la danse était magie.

J’avais regardé First Position, un documentaire américain sur les jeunes danseurs de ballet (de 9 à 19 ans) qui se préparent pour le Youth America Grand Prix à New York, et j’avais décidé d’aller voir de près le programme de l’école de Royal Winnipeg Ballet. Dans le taxi qui m’emmenait à un premier rendez-vous avec une professeure de danse, je croyais vivre à l’intérieur d’un voyage avec le groupe de ballet.

Je pensais, « dans quelques minutes, je serai peut-être surprise, émerveillée, épatée ». J’avais hâte et peur à la fois. Ma vie allait prendre un chemin inattendu.