28/09/2013

en ville


L’autre jour vers midi, je suis entrée dans le restaurant Deer and Almond avec la joie de retrouver un endroit chaleureux, qui m’a laissé une bonne impression les deux ou trois fois où je me suis arrêtée pour déjeuner. Laura était déjà là, assise à une table près des grandes fenêtres avec vue sur la rue Princess. En face, de l’autre côté de la rue, sur la vitre d’une boutique d’art fermée, plutôt laissée à l’abandon, on pouvait lire ces trois mots : Creativity is courage. Simple et évident, vous direz. Pourtant de voir cette ligne surgir et s'inviter dans notre regard et notre pensée, j'avoue que cette rencontre inopinée nous a fait parler.. Cocasse rappel que notre sensibilité aux mots est toujours là. 

 princess street, winnipeg



Le film américain récent The Butler par Lee Daniels pourrait vous faire pleurer. Je ne crois pas avoir été la seule à essuyer des larmes à la fin. Pendant les deux heures du film, suivre la vie du Butler de la Maison Blanche pendant au moins quatre régimes politiques au vingtième siècle – à commencer avec le président Eisenhower jusqu’à l’élection de Barack Obama – impossible de rester indifférent. Un seul homme, le personnage du Butler, semble incarner tant de grands moments de l’histoire moderne et contemporaine des États-Unis. Chronologiquement, l’action du film démarre en 1926 et se termine en 2008. On pourrait imaginer une grande fresque d’événements et de tournants personnels et collectifs : les plantations de coton où les Noirs travaillent pour les Blancs, l’esclavage, la discrimination, les réformes de J.F. Kennedy pour les droits des tous les citoyens et son assassinat, le klu kluk klan, la haine et la passion dans la vie et dans la politique, la fidélité et le sacrifice, la famille, les enfants, l’engagement pour transmettre des valeurs aux jeunes... La condition humaine en sa pluralité, simplement.

Après tout, le film est peut-être touchant, car il s’agit surtout de moments de l'histoire récente. Récente et éloignée pour moi, puisque le film m'a fait penser aux cours d’histoire que je prenais au lycée, il y a bientôt quinze ans. Souvenir ou madeleine de Proust ?



26/09/2013

varia


Inexplicable paix intérieure malgré le tourbillon des événements qui me font violence un lundi matin à l’université. Serait-ce la mauvaise humeur du week-end qui se prolonge ?

Le festival du livre Thin Air se termine demain. Encore une année est passée sans que participe à la moindre activité, rencontre avec des écrivains ou spectacle. J’aurai désormais encore un an à trouver peut-être d’autres significations au titre Thin air, à part du vent, du bon vent, de l’air doux, léger, raréfié par où les mots se frayent une voie…

La deuxième fois où je suis entrée dans l’exposition de l’artiste chinois Ai Weiwei à AGO à Toronto, j’ai eu la même impression presque palpable d’être en plein air, au milieu d’un grand espace balayé par une catastrophe naturelle. Les murs de la salle du musée sont couverts de photos immenses qui montrent des montagnes de débris, des maisons détruites, des ruines parmi lesquelles les pompiers s’affairent à retrouver les derniers pauvres survivants. Vous le savez déjà, il s'agit du tremblement de terre du Sichuan - un des projets les plus impressionnants de l'artiste ces dernières années. Devant les prises de vue, ce qui vous frappe, c’est l’effet de vraisemblance. De la pure présence. La force de la photographie bien saisie, de l’installation d’art bien pensée. La force de l’art tout court.

24/09/2013

after the great pain, a formal feeling comes


Elle a commencé sa conférence avec un poème d'Emily Dickinson. Pour illustrer les concepts abstraits de Jacques Lacan, elle a lu :

After great pain, a formal feeling comes –

The Nerves sit ceremonious, like Tombs –
The stiff Heart questions ‘was it He, that bore,’
And ‘Yesterday, or Centuries before’?

The Feet, mechanical, go round –
A Wooden way
Of Ground, or Air, or Ought –
Regardless grown,
A Quartz contentment, like a stone –

This is the Hour of Lead –
Remembered, if outlived,
As Freezing persons, recollect the Snow –
First – Chill – then Stupor – then the letting go –

Je ne crois pas être la seule à avoir reconnu la force de la poésie à capter l'attention, à transgresser les notions les plus obscures pour nous rendre présents. Là. Simplement. 

15/09/2013

découvrir la ville d'altona


À l’aube, le ciel est rouge au-dessus de la Rivière Rouge à Winnipeg ; la ville, endormie. Sur l’autoroute MB-75 South, les voitures se pressent vers la frontière américaine. Le marché Saint-Norbert n’est pas encore ouvert, mais les premiers commerçants sont déjà là, affairés autour des étals.


Altona est une petite ville à cent kilomètres au sud de Winnipeg : 3500 habitants, dont la plupart des Mennonites, cette ville vous surprend par le calme de carte postale qui se dégage des maisons joliment rangées sur des gazons presque parfaits. Nous avons pris le repas de midi dans un restaurant tenu par une famille, et qui portait un nom d'ailleurs : Jasmine’s Tea. Nous avons traversé la ville en voiture, en diagonale, pour arriver à la Galerie d’art - Gallery in the Park - où se tient jusqu'en octobre une exposition d’art inuit organisée par le Musée des Beaux-arts de Winnipeg. La galerie, abritée dans la maison la plus grande de la ville, construite en 1902, m’a semblé s’intégrer admirablement dans le décor idyllique, mais en même temps, elle a réussi à déstabiliser quelque chose de l'image que je m'étais faite d'un musée en ville. Pourquoi pas ?


Le ciel du Manitoba est bouleversant dans son ouverture. La terre et les nuages se répondent en écho ; en miroir. Drôle d’impression que ces terres n’ont pas encore été apprivoisées par l’homme. Abritent-elles des mystères ? Ou des dangers ? Qui sait. 

Malgré tout, il y a dans ce paysage quelque chose de violemment splendide et reposant : les couleurs, les nuances, la ligne de l’infini qui transgresse toute menace. 

vue des prairies - 14 octobre 2013



Altona - the Gallery in the Park

le jardin de la galerie d'art à Altona


12/09/2013

les années


C’est elle la femme qui m’a posé cette question : « Comment te vois-tu à quarante ans » ? Sur le fond d’un ciel bleu pâle qui s’ouvrait devant moi s’est découpée une pensée floue, latente, indescriptible.

Plus tard dans la journée, j'ai ouvert Les Années d'Annie Ernaux. La première ligne disait : « Toutes les images disparaîtront ». Une autre question m’est apparue : Et les femmes, les hommes ?

Disparition, oubli, mémoire incertaine. Le passage de Tchekhov en exergue du récit d'Ernaux dit tout cela :  

« - Oui. On nous oubliera. C’est la vie, rien à faire. Ce qui aujourd’hui nous paraît important, grave, lourd de conséquences, eh bien, il viendra un moment où cela sera oublié, où cela n’aura plus d’importance. Et, c’est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd’hui ce qui sera un jour considéré comme grand et important, ou médiocre et ridicule. (…) Il se peut aussi que cette vie d’aujourd’hui dont nous prenons notre parti, soit un jour considérée comme étrange, inconfortable, sans intelligence, insuffisamment pure et, qui sait, même, coupable ».

Peut-être y a-t-il derrière notre vie d’aujourd’hui, l’oubli qu’il y a le temps -- le grand temps, parent de la surprise, des choix inconnus, inespérés.


08/09/2013

dimanche bis


Trois heures passées à la bibliothèque. Le premier jour après les grandes vacances où c’est ouvert tard le week-end. La joie jamais effacée de feuilleter les derniers numéros des revues, joie de la lecture comme la décrit Proust dans Journées de lecture. À penser à cela, encore maintenant, c’est une sorte de nostalgie heureuse. L’indicible du temps qui s’écoule dans le silence, mais est-ce que je pourrais le dire en lui-même ? Plutôt dans une suite d’images, dans le récit d’une vie, la mienne et pas la mienne. Envie perpétuelle de revenir au milieu des livres, retour à la bibliothèque sans nom. Idéale.

Calme, hors du temps. Je pense à Toronto, en 2007. Dimanches d’été dans la grande ville déserte, y a-t-il eu quelque chose de plus mélancolique que d’être là-bas, seule, ou presque ? J’étais trop seule, pas forte, l’avenir était blanc. Ne pas avoir eu à évoquer cette période me fait écrire aujourd’hui que l’avenir aura peut-être plus de couleur.

« 555, c’est le nombre de romans qui se bousculent au portillon de la rentrée littéraire en cette saison 2013 », affiche sur la première page le supplément « Rentrée littéraire » de la revue Lire. Le chiffre me plaît -- intact, parfait, pas aussi surréel que les automnes où on comptait 600...700 nouvelles sorties. Disons que ce n’est pas le chiffre 555 qui me donne envie de lire un ou deux des romans annoncés.