27/01/2014

digressions urbaines


Le jour se lève après 8h à Winnipeg vers la fin janvier. Par la fenêtre couverte de fleurs de glace, la lumière pénètre à peine. Ce matin, le froid à -30 bloque le moindre rayon de soleil.

L’apprentissage de la lenteur est difficile ; comme celui de la patience. Vous êtes habituée à marcher à l’aise dans la ville en janvier, mais Winnipeg vous donne du fil à retordre. Le froid coriace pendant des jours d’affilée vous empêche de sortir. Simplement. Si, malgré tout, vous décidez de sortir et, si vous comptez faire un trajet de plus de dix minutes, il vous faut repérer deux, trois cafés sur le chemin où vous chauffer. L’ardeur de l’hiver manitobain n'est pas une blague. Pas du tout. 

Puis, disons que vous avez l’habitude de marcher, vous promener, bouger, vous dépêcher sans que le corps vous fasse mal ; sans qu’un bras, une épaule ou une jambe vous gêne. Soudain, à Winnipeg, vous réalisez qu’il y a des jours où une partie du corps vous importune. Simplement. Le corps vous envoie des signaux : ça ne va pas. Tout le mal pour un bien : à cause de ce malaise ou grâce à lui, vous avez cette prise de conscience nullement anodine : … oui, j’ai une jambe ; oui, j'ai une épaule gauche… Sur-le-champ, votre rapport à vous-même s’en trouve transformé : vous vous retrouvez plus bienveillante envers votre corps, vous tentez de cultiver des formes de patience, vous cherchez à être efficace... malgré l'empêchement. Bref, vous réalisez l’importance et la présence du corps. En outre, votre perception du monde change elle aussi : vous observez désormais avec compassion des femmes et des hommes qui marchent difficilement à cause d’une blessure, d’un accident ou malformation. En revanche, par moments, vous retrouvant à bout de force, vous vous apercevez que vous ressentez de l'envie pour celles et ceux qui marchent naturellement, avec légèreté et sans effort. 

Ainsi donc, vous dites-vous, la blessure au corps, le mal à la jambe, peut devenir ce lieu d’où il est possible de contempler des aspects de la vie que vous ne voyiez pas avant, ou face auxquels vous étiez indifférente. N’est-il pas surprenant de constater que le moindre déséquilibre au niveau du corps provoque des changements, petits ou grands, dans notre manière de percevoir le monde et nous-mêmes ? Cette expérience est peut-être porteuse d'un message simple, mais complexe : qu’un retournement à l’adversité (hostilité, obstacle, empêchement) peut advenir. On l'appelle : ouverture d’esprit, bienveillance, patience...

À partir de cette idée, je pourrais bien percevoir la bienveillance de Winnipeg, ne serait-ce que dans ces photos du centre-ville, pas mal réussies, qu’un journaliste à The Uniter a prises pour son article du 22 janvier : Winnipeg, the city that always sleeps.




crédit photos The Uniter ; 22 janvier 2014



22/01/2014

un rêve

Je m’aperçois en ouvrant les yeux que le rêve est trop fragile, qu’il se dissipe avec une vitesse inouïe dans la lumière qui baigne la pièce, que même avec un effort de concentration, je n’arriverai pas à reconstituer les mots que tu m’as dits.

Le texte m’échappe. Je le sens glisser. Sécrétions de pittoresque, épanchements. Nostalgies de deux sous. Illusions de l’enracinement. Ce personnage qui me parle la nuit encore une fois m’échappe. Je finis par me laisser prendre à son histoire. Je finis par vouloir un brin d’ordre, de logique, de patience dans mes épreuves au travail. Vivre à petits pas, à petits feux. Le temps à se traîner jour après jour. Les courses à faire. Magasiner. Les cours à enseigner. Encourager, si ce n’est que pousser des jeunes filles à lire tel ou tel écrivain. Enfilement de gestes, miettes de vie, de vide, de ville. Je finis par avoir la nostalgie du récit. Où la mener ? Elle ne peut tout de même pas habiter le downtown de Winnipeg, et à la fois, Toronto, Buenos Aires... La promener longtemps ainsi dans des villes aux soirs chagrins, aux ombres resserrées, aux fantasmes futiles ? Restera l’exil, l’éternel sentiment d’être ailleurs, déracinée. Winnipeg ou Buenos Aires, Toronto… Les villes se cherchent et se répondent dans la nuit. Parfois elles se ressemblent. Quelle importance ! Quelque part dans l’imaginaire d’une fille.


Un bout de ce rêve m’est revenu, un brin de voix, la sonorité de tes phrases. Un matin, je recevrais une lettre d’outre-tombe, une lettre sans nom à l’expéditeur ; d’un messager, un anonyme. Je lirais : « Si tu entends le vent des prairies et si l’eau du Bug s’agite avec véhémence, si les bouleaux hurlent sous la tempête, sache que c’est moi qui pleure sur notre siècle, sur notre échec, sur nos jeunesses gaspillées. Mais vois-tu, je pleure plus sur vous, sur ceux qui restent, et quand je vois la façon dont les choses tournent… ». De ta place, là où tu avais été placé..e, du fond de ta tombe, m’aurais-tu écrit ?


 photo credit - Siméon Rusnak


18/01/2014

la ville imaginée


Elle aurait fini par faire un récit au conditionnel, s’imaginant dans une ville-collage, une ville-livre, une ville-Histoire. Le plaisir de se promener downtown, d’entrer dans un Starbucks voir si des étudiants resteraient encore là pendant des heures à finir des dissertations pour la semaine de cours, se perdre dans les rues aux maisons somptueuses un jour au ciel bleu et à l’air vif. Emprunter la rue Bernard, passer devant la maison de pierre avec un grand sapin vert en toute saison, qui couvre la fenêtre du salon, arriver sur la colline de Casa Loma dans le jardin encore frileux, et revenir ensuite vers la rue Davenport, entrer à la Maison de la presse voir si Le Monde de vendredi est arrivé, renter tout doucement.


Souvent le samedi, elle ferait cette sortie. Elle partirait assez tôt de chez elle et, par cette promenade, elle tenterait de trouver quelque chose de familier. Les noms propres des rues et des magasins seraient un piège. Il n’y aurait pas de véritable familiarité. Le langage serait différent, tout comme les langues qu'elle entendrait dans la rue. Elle le sentirait. Dès qu’elle ferait l’analogie avec son passé en Europe, elle deviendrait mélancolique. Elle ferait la moue. Il n’y aurait pas en Amérique du Nord de seconde Europe. Elle en aurait le cœur déchiré.



12/01/2014

the wolf of wall street



The Wolf of Wall Street, le personnage de Jason Belfort, dans le dernier film de Martin Scorsese échappe très peu aux clichés qui circulent sur les riches richissimes, les un pourcent de la population du monde, comme on dit. Pendant les trois heures du film donc, Scorsese nous fait voir la montée fulgurante du jeune courtier Belfort, déjà milliardaire à 26 ans, et assez vite, sa chute toute aussi fulgurante. Entre glamour, sexe, drogues, folies, exaltation, et des situations moins roses, d'où n’émanent que dégoût et répulsion, Di Caprio qui joue Belfort, fait ici un de ses grands rôles. Au bout des aventures, à la fin du film, vous aurez peut-être à l'esprit comme moi, cette idée simple et complexe… que l’argent et l’excès finissent par vous ruiner.


11/01/2014

11 janvier


À court d’inspiration, je me tourne vers le cliché des Anglais qui semblent ne se lasser jamais de parler du temps, de la météo, des saisons… Si je reprends cet exercice, pour moi, parler du temps, raconter l’hiver à Winnipeg serait quelque chose comme une énumération de mots sur le thème du froid, mais du froid pur, véritable : froid polaire, du pole nord, de l’Arctique ; ensuite viendraient : neige, vent, tempête de poudreuse, gel, glace, glacial, glaçon… à quoi s’ajouteraient -- hibernation, lenteur, somnolence, bruissement de pneus sur le béton gelé, voitures branchées car sinon, comment démarrer ? Puis, des montagnes blanches de neige propre et sale au long des trottoirs…

Dans ce paysage, personne ne marche dehors, ou presque ; sauf un petit lièvre qui prend son temps en traversant une allée du campus. Et ces deux hommes un peu fous ou courageux, qui se battent contre le vent à vélo sur l’avenue Portage à -20 degrés. Il y a ensuite, les camionnettes, de grandes autos surtout, qui résistent au climat rude, et qui glissent lentement, on dirait prudemment, sur la Main. Un univers lunaire que j’hésiterais de mettre sur une carte postale. Le printemps sur terre paraît loin, loin.

*


Je viens d’apprendre que la jeune femme qui travaille au comptoir des prêts à la bibliothèque écrit des poèmes slam. ‘Spoken words’, I like to call them, me dit-elle. À la soirée d’hier, les couplets qu’elle a lus n’étaient pas mal du tout. J’ai trouvé certains drôles, espiègles, pleins d’esprit. Après tout, il y a aussi cette Winnipeg qui vous réserve de belles surprises.


 University of Winnipeg, January 10, 2014
                         Portage Avenue, January 10, 2014