28/11/2010

wide awake hearts

Does life imitate art, or is it the other way around? That's the question posed in Brendan Gall's new play, Wide Awake Hearts. Presented by Tarragon Theatre, the play is about a talented director who decides to cast his wife and his best friend as lovers in a film. The on-screen romance bleeds into the real world, however, and the filmmaker must discern whether the movie caused the relationship to form, or if it just brought the truth to light.

After the fairly clear set-up, Wide Awake Hearts devolves into a succession of monologues and scenes that are characterized by sudden shifts in direction and behaviour. Most of the sex scenes end up in violence, while verbal exchanges demonstrate the mix of love and hate the characters feel for each other: “I hope you die alone. I don't say that from anger. I really mean it”.
Maev Beaty in "Wide Awake Hearts"
Gall purposefully blurs the worlds between the on-set and off-set worlds of the play. “Stop talking in punchlines!”, says one character; “Stop giving me set-ups,” replies another. Similarly, the use of letters instead of names is some sort of acknowledgment that the characters are interchangeable, even though at times, the script leads us to feel for them.
Director Gina Wilkinson crafts a thrilling production, where each scene falls smoothly into the next and the public seems to be kept in the momentum, not missing a word. The tiny Tarragon Theatre's Extra Space doesn’t seem to challenge Wilkinson who plays with the space's limitations as if they were created specifically for this show.
“All the world's a soundstage,” says one of the characters, “and all the men and women merely day players”. A clever invitation to reflect upon a story full of sound and fury, signifying nothing and everything...

25/11/2010

écriture du fait divers

Quels sont les droits de la fiction par rapport à la réalité ? L’ambiguïté littéraire peut-elle faire l’objet d’un procès et du retrait d’un livre des librairies ?

Le roman Sévère de Régis Jauffret, paru en mars 2010, s’ouvre avec cette phrase : « La fiction éclaire comme une torche ». Neuf mois après la publication de ce roman inspiré du meurtre du banquier Edouard Stern, l’écrivain et les éditions du Seuil se voient appelés au tribunal par la famille de la victime. La veuve du banquier et ses trois enfants demandent le retrait du livre pour « atteinte à la vie privée » ; la fiction « éclaire » trop. Ils s’opposent également à la production du livre au cinéma.

L’interdiction de toute adaptation de Sévére au cinéma reste en suspense. Selon un article du Monde, Jauffret a cédé les droits audiovisuels du livre à Albertine Production. Le script fut confié à Hélène Fillière qui se propose de réaliser son premier film ; projet évalué à 5 millions d’euros.  

En 2005, « l’affaire Stern » fut largement couverte par les médias en raison de la notoriété du défunt et du caractère sensationnel de sa mort. Edouard Stern fut retrouvé mort le 28 février à Genève, tué par quatre balles tirées par sa maîtresse Cécile Brossard à la suite d’ébats amoureux sadomasochistes. Ce fait divers choquant révéla au public des détails affolants sur la vie privée de la victime lors du procès de sa meurtrière, condamnée à huit ans de prison, et qui vient de recouvrer sa liberté ce mois de novembre.

L’écriture du fait divers pose la question de la mémoire et du deuil. Elle interroge le rapport à la norme, voire à la normalité. Et quelle normalité ? Au fond, on se demande jusqu’où un texte de fiction inspiré d’un événement du réel peut-il aller dans la révélation. Ces questions nourrissent les tensions entre la vie, où se passent des histoires personnelles, individuelles, et la création littéraire qui parle de l’humain. Et puis, qu’est-ce qui lie et distingue le discours journalistique qui informe et la littérature qui construit plusieurs points de vue, module et met en perspective ? On est d’accord : dans les deux discours, littéraire et journalistique, il y a une tentative de mettre en lumière une vérité sur des faits et sur l’être humain. Si la presse mise sur le sensationnel et la révélation ponctuelle, factuelle, la fiction prend son temps, élabore, révèle avec des moyens artistiques.
Régis Jauffret
 
Et l’écrivain en tout cela ? Y aurait-il quelqu’un qui prenne en compte l’avis de Régis Jauffret : « si mon livre était interdit, dit-il, j’en prendrai acte sans critiquer ni commenter, mais cette décision me rendrait triste. La loi française est très restrictive quant à la liberté du romancier qui entend s’emparer du réel. En ce moment, je me sens moins libre qu’à l’accoutumée de donner mon opinion » (Le Monde, 25/11/2010). Après tout, on est en train de penser que la censure ne tue pas la créativité mais elle oblige certes à creuser et inventer de nouvelles formes d’être écrivain. 

21/11/2010

the year of magical thinking

“In an instant, life as she knows it ends”. These words are striking. They are omens of danger.

The opening of the play The Year of Magical Thinking by American playwright Joan Didion at the Tarragon Theatre in Toronto resonates with the power of a true story. The play is adapted from Didion's memoir of the same name and recounts the year she suddenly lost both her husband and only child. Despite the sad sensitive subject matter, the piece is an unsentimental clear-eyed exploration of grief and the unexpected feelings a once rational person might have to cope with to face it.


This moving story reminds us that the roots of theatre are in storytelling. The single character is beautifully played by Seana McKenna. The power of shared experiences creates a special bond with the audience that is addressed directly at different times during the play. Through the incredible specificity of the events in the narrative, Didion manages to reveal universality.

Seana McKenna

You might think you’ll be seeing it straight but you won’t.

A couple arrive home to their apartment on Upper East Side of Manhattan. The day has been difficult. They decide to eat in that evening.

It was at the table, making a salad. He was sitting across from me, talking. Either he was talking about … World  War One… or he was talking about the scotch, I have no idea which.

Then he wasn’t. Wasn’t talking.  

In an instant, life as she knows it no longer exists. Her husband is rushed to the hospital; earlier, they visited their only child in intensive care. From now on, she struggles to imagine how she will care for them both: husband and daughter.

When she returns home and colleagues and friends begin to call, she makes a secret decision that will transform the next year of her life :

Let me make myself clear. Of course I knew he was dead… Yet I was in no way prepared to accept this news as final.

That was why I needed to be alone.

I needed to be alone so that he could come back.

That was the beginning of my year of magical thinking.

The lights turn off at the end of the play and we are left dreaming about magic and its role in mourning and loss. For a while, magical thinking is the keyword. It could be a rescue from the normal laws of cause and effect; an alternative to reasonable scientific thinking. As such, magical thinking allows us to believe that human beings can observe and be present to overwhelming inexplicable situations.

After all, the play bears out the message that magic is intrinsically subjective: sometimes apparently successful and supportive, sometimes a failure, but always a metaphor of the unexpected; a sign of what lies beyond…

17/11/2010

femmes d'espoir

Nul ne peut rester indifférent à la vue de cette petite femme de 82 ans à la voix frêle et émouvante qui émerge gracieusement dans un amphithéâtre à Lady Eaton College pour affirmer sa foi dans la vie et l’espoir qui lui fut salvateur pour la survie à Auschwitz en 1944, quelques mois seulement avant la Libération. Devant une salle remplie d’étudiants où le silence est lourd, signifiant, Judy Weissenberg Cohen, née à Debrecen en Hongrie en 1928,  nous fait part de l’histoire troublante de sa jeunesse où elle passa quatre terribles mois dans le camp de la mort. Seul un miracle l’a protégée pour survivre : elle fut envoyée travailler « comme esclave » à l’usine d’avions Junkers près de Leipzig. Plus jamais, elle n’a revu ses parents, ses proches ; une centaine des siens sont disparus. En 1948, avec un groupe d’orphelins, Judy est envoyée au Canada.


L’histoire de Judy Cohen me paraît troublante aujourd’hui car dans sa voix j’entends la vibration de la vie qui se transmet malgré tout. Ses mots, les consonnes roulées en anglais, semblent faire passer la cruauté et l’étrangeté de ce qu’elle vécut. Pour un moment, en l’écoutant, le monde est mis en parenthèse. On est là, chacun je crois éprouve le sentiment de ne pas être seul, de partager quelque chose des forces et des faiblesses de cette femme admirable ; une communauté inavouable, inavouée, comme dirait Barthes. C’est cette sensation de présence, d’être présent à l’existence de l’autre, de l’entendre et l’accueillir, qui me paraît bouleversante.

D’autres femmes sous d’autres cieux, ont été confrontées comme Judy Cohen à des régimes totalitaires. Elles ont fait le même pari de l’espoir et l’ont gagné. Ces jours-ci, on parle avec enthousiasme d’Aung San Suu Kyi, l’opposante à la junte birmane qui a passé quinze des vingt et une dernières années en détention sous une forme ou sous une autre. Dimanche, le 14 novembre, à Rangoun, la Prix Nobel de la paix, des fleurs dans ses cheveux et un sourire serein sur le visage, fit passer un message puissant de réconciliation nationale à la foule de compatriotes portés par la joie de la retrouver finalement libre. L’effervescence des retrouvailles ne semble pas basculer, mais le message d’espoir se fraye chemin dans les cœurs, et on l’espère dans l’agenda des politiques birmans et occidentaux.



Autrement, sur un ton joyeux, la une des médias du monde est prise ce matin par la nouvelle des fiançailles officielles et du mariage prochain du Prince William de Wales avec Kate Middleton. Un message d’espoir saisit la Grande Bretagne, événement qui semble balayer au moins un peu l’air sombre du temps, la crise économique, les grèves et les soucis quotidiens. Comme le remarque un article dans le Globe and Mail, si en 1981 lors du mariage de Charles et Diana, les Britanniques ont mis leur espoir dans l’aristocratie, aujourd’hui, les choses sont renversées : Will et Kate se tournent vers le peuple et cherchent à simplifier les rituels, les garde-robes, les étiquettes. D’aucuns parlent de l’espoir d’un vrai renouvellement de la monarchie. Serait-ce simplement un effet de l’époque où nous vivons ?


Au fond, il me paraît intéressant de penser l’espoir comme quelque chose de profondément humain, un tiret entre des femmes qui vivent dans des pays différents, à des époques différentes, qui traversent des totalitarismes ou des démocraties ou sont au cœur d’une monarchie, mais qui chacune à sa manière porte un message fort et parvient à le transmettre. 

15/11/2010

mise en scène au Louvre

Chaque mois de novembre, Le Louvre accueille un artiste invité qui s’approprie deux ou trois pièces du musée et par son travail les transforme en espace original portant son empreinte. Cet automne, l’artiste invité est le metteur en scène Patrice Chéreau qui change deux salles rouges en théâtre où dialoguent les Visages et les Corps, ainsi que l’indique le titre de son exposition. Chéreau prend le défi de transformer le musée en scène où prime la liberté et il n’y a plus de frontières entre les époques, les styles, les âges des êtres représentés. Dans cet assemblage, L’origine du monde (1866) de Courbet semble encore plus expressive à côté du tableau de la Jeune fille se peignant (1630) de Salomon de Bray ; ou encore, des scènes de l’univers biblique classique du XVIIIe siècle semblent émaner plus de lumière à côté d’un visage abstrait de Francis Bacon ; ou bien, une photographie contemporaine en grand format d’une jeune fille dans la baignoire a l’air de se tourner pour réellement parler avec le regardeur et, à la fois, avec une autre femme d’un tableau voisin peint deux siècles auparavant.



La disposition des tableaux est surprenante. On éprouve la transgression des limites et l’incongru, on sait que c’est ainsi voulu, mais la sensation palpable d’être dans une salle de théâtre et pas dans un musée, l’emporte sur la surprise. Pour un instant, je me suis surprise rêver aux possibilités multiples de jouer avec l’art, penser aux ouvertures que donnent un dialogue – sous la forme d’une exposition – entre un homme de théâtre et un peintre ou photographe. Ces croisements de vision et de créativité me paraissent fascinantes.


Dans une deuxième salle mise à la disposition de Chéreau, plus petite, celle-là, le metteur en scène a choisi de montrer surtout des croquis au crayon ou des aquarelles qu’il réalisa lui-même pour différentes mises en scène. S’ajoutent aussi des photos de fin de vie par Hervé Guibert avec des réflexions saillantes sur la force de la photographie à prolonger l’existence. Ensuite, des morceaux de journaux américains qui parlent d’artistes pop, et à côté quelques dessins du père de Chéreau, des portraits et des corps avec l’inscription « Hôpital de la Salpetrière », comme pour jouer sur l’ambigüité : l’artiste, était-il fou ? était-il médecin psychiatre ?

Si la première salle de l’exposition est plus impressionnante, la deuxième, plus étroite et sombre, semble nous conduire dans « les entrailles » d’une mise en scène théâtrale pour nous montrer aussi les jeux de lumières et la préparation de la distribution. Les deux salles apparaissent ainsi comme le devant et le derrière d’une cortine.

Dans son ensemble, l’exposition m’a paru intéressante mais quelque part, il m’est resté le sentiment qu’il y avait de la place pour plus d’imagination, plus d’improvisation ; sensation plus évidente surtout en traversant des salles du Louvres où des tableaux de la collection permanente m’ont touchée par leur lumière singulière, par leur grandeur et mystère. Devant la beauté grandiose de certaines toiles qui sont là depuis des siècles, la créativité de Chéreau m’est apparu soudain menue. C’est là où j’ai eu encore la révélation que la mise en perspective peut changer complètement notre perception d’un tableau, d’un visage, d’un événement..

12/11/2010

portraits d'écrivains


L’exposition de photographies Portraits d’écrivains de 1850 à nos jours qui se tient à la Maison de Victor Hugo à Paris jusqu’en février, s’ouvre sur une belle citation de Paul Valéry justifiant les occasions où « la bromure l’emporte sur l’encre ». Les photographies de cet assemblage très réussi lui donne raison, car les 200 œuvres choisies représentant près de 90 écrivains et 30 photographes donnent à voir des regards, des poses et une ambiance singulières par-delà ce que peuvent dévoiler les mots d’un roman ou d’un récit. Il ne s’agit pas ici d’une mise à nu telle que ferait la peinture, mais de photographies qui émeuvent par leur force de fixer un instant, un clin d’œil ou un mouvement. Et c’est touchant d’imaginer l’écrivain en modèle qui pose pendant une demi-heure dans un salon ou en plein air. L’écrivain est-il un modèle comme un autre ? Pendant une séance de prise de vue, l’écrivain et le photographe qu’est-ce qu’ils se disent? … Dans le catalogue de l’exposition, il est intéressant de découvrir certains aveux de photographes. Sophie Bassouls, elle, par exemple, n'oubliera jamais l'accueil chaleureux que lui réserva il y a longtemps Witold Gombrowicz, alors qu'elle débutait dans le métier et que les écrivains lui paraissaient relever d'une espèce inaccessible ; mais elle ne pardonnera jamais à Alexandre Soljenitsyne ses yeux de glace et sa méchanceté, lors du séjour qu'elle effectua dans sa propriété du Vermont. 

Belle invitation à un voyage d’images et mots silencieux en compagnie de Victor Hugo, Beckett, Colette, Duras.. en quête de cet instant qui « n’a lieu qu’une fois », mais que la photographie reproduit à l’infini, comme dirait Barthes.