24/06/2013

vue de Paris

La vue de Paris du sixième étage à Beaubourg me paraît cette fois "une grande étrangère". Car ce n'est pas seulement une ville exigeante et un lieu dont les couleurs changent en fonction de la saison ; à bien la regarder, Paris me semble entretenir une relation complexe, critique, avec celui ou celle qui la contemple.

À observer les toits, l'horizon, les nuances du ciel, je me souviens du printemps 1998 quand j'avais pris pour la première fois l'escalateur pour monter dans ce musée. Les images qui me viennent à l'esprit sont floues, flottantes, indécises, au point qu'il m'est difficile d'en distinguer une et en parler ici. Je me mets précipitamment à prendre des photos... une, deux, trois... dans l'espoir que la vue me deviendra moins étrangère. Enfin ... étrangère ou pas, je me dis que ce qui importe est que je suis amenée à ce souvenir de '98.

Puis soudain, à quelques pas derrière moi, j'entends une voix : "Ana !"
Le fil de mes pensées s'arrête net.




vue de paris




12/06/2013

le cabinet du psychanalyste


Vous prenez l’ascenseur et vous appuyez sur le chiffre 9. Neuvième étage. Il vous suffirait d’imaginer que vous êtes dans un immeuble d’appartements au centre-ville de Toronto pour vous retrouver devant une porte en chêne derrière laquelle vous attend une personne chère. Mais comme vous êtes de l’autre côté du monde – des névrosés, des incompris, des mélancoliques – vous prenez le couloir dans l’autre sens, vers la droite, en vous disant que ce travail est vraiment une descente aux enfers. Chaque fois, comme s’il s’agissait d’un rituel, vous posez votre regard sur l’ours polaire en pierre blanche qui orne une table au milieu du cabinet. Cet ours vous rappelle un monde ancien, celui des grands-parents qui avaient en eux, semble-t-il, la sagesse de raconter des histoires peuplées de toutes sortes d'animaux grands et forts. C’était aussi un monde où les femmes et les hommes avaient ce qu’il faut pour supporter les douleurs physiques et morales. Ils vivaient lentement et se répétaient quelques phrases simples, comme pour se donner du courage : « Il y a un temps pour travailler et un temps pour s’amuser », « Aide-toi et le ciel t’aidera », « À chaque jour suffit sa peine ». Entrée dans le cabinet, vous accrochez votre manteau sur la porte que vous fermez avec attention. L’été, vous n’avez rien à accrocher. En faisant le moins de bruit possible, vous allez vous assoir dans le fauteuil appuyé contre le mur insonorisé et vous essayez de capter les mots cachés dans les rares murmures de votre psy. Que peut-il bien dire à l’autre qu’il ne vous ait pas dit ? 

10/06/2013

penser le yoga


À la fin du cours de yoga, Lori a commencé à dire quelques mots, ce qui est rare, la pratique étant surtout silencieuse, propice à la méditation. Lori entendait donc partager avec nous quelques « pensées éparses », ‘floating thoughts, thoughts that kept coming to me these last three days’, dans l’intention peut-être de les clarifier, ou du moins, de les laisser flotter ; nous les confier. Il était question de yoya : ‘What is yoga? What do we do with this ashtanga practice today, here in Winnipeg? Ou encore, How could we make yoga meaningful to our lives? Integrate it to the daily routine'. Certes, il n’y a pas de réponse précise, unique, une. Pas de recette de pensée non plus. 

En écoutant, j’ai tiré l’idée que je connais très peu sur le yoga ; au fond, presque rien sur la philosophie et l’histoire de cette pratique ancienne. Je ne suis qu'à la surface, tandis que ce qui se trouve en dessous semble bel et bien infini, au point que ce pourrait être le projet d’une vie. Si je jette un oeil autour de moi dans le studio, il y a quelque chose de frappant : plus d’une personne semble avoir été immergée dans la pratique du yoga depuis longtemps, très longtemps. Par-delà la flexibilité du corps - qui s’ouvre, tourne et se ferme avec une légèreté intimidante au fil de la respiration - j'imagine que l'esprit est tout aussi libre et ouvert. Body and mind connected, comme j'entends dire souvent ici. 

Plus tard dans la journée, je suis sortie faire un tour à vélo dans un parc près de la Rivière Rouge. Sans être étonnée, j'ai vu un lien entre la matinée et l'après-midi : la même pensée de « connaître peu » sur les lieux, sur la ville, les quartiers, la nature… m’est revenue. Non sans sourire.

Finalement, disons qu'il me reste assez à découvrir à Winnipeg et ailleurs. 
De quoi poursuivre cette pensée et peut-être, en faire quelque chose.

red river à winnipeg, muddy river - june 9, 2013 

09/06/2013

le premier vendredi du mois


Le premier vendredi du mois, les galeries d’art du quartier The Exchange à Winnipeg sont ouvertes au public jusqu’à minuit. C’est grâce à Sara que nous avons décidé d’y aller, et je peux dire que la sortie a été pas mal intéressante. Des cinq ou six galeries où nous nous sommes arrêtées, the Gurevitch Art Studio a attiré mon attention, particulièrement l’œuvre d’une artiste originaire de Saskatchewan, basée à Winnpeg. Sue Gordon – c’est son nom – travaille des grandes toiles, où elle pense le rapport de l’homme au paysage : l'horizon, le ciel, la terre, le vent, les prairies… 

Son exposition, Far Country propose une représentation du sentiment de « manque ». Longing, en anglais. « Qu’est-ce qui nous manque ? Ou qui ? Pourquoi ? Comment se vit ce manque ? ». Des questions que l’artiste (se) pose dans ses tableaux pour aller chercher la nature. Le paysage des prairies - qui fait figure de constante, de point d'espoir - semble « apporter » des réponses conscientes et inconscientes, là où le monde et les hommes peuvent être décevants.

The artist’s statement parle avec pertinence de ce projet :

“As I grew up on a farm in Saskatchewan, I have always been drawn to the horizon. In my work the horizon has often been used as a metaphor for hope and longing – a thin band of light on the edge of a bleak prairie. However, the older I get my ability to hope and the things that I long for have changed. The world is a dark place, and there have been seasons of life that have been difficult. Many of the horizons I now point are obscure, as I feel I am unable to see things with the clarity I once had.

I often think of the concept of ‘longing’. I am interested in the things we long for, and the ways in which we long. With the recent advent of sites such as Tumblr and Pinterest, there are thousands of people trying to derive meaning, significance, or a sense of beauty by scrolling through an apparently endless number of lifestyle images. As these sites are often about what is novel, they make me uneasy. Perhaps this is why I return again and again to the land, to the sky, and to the weather. They are constants in my life through which I can reflect on memories of the past, on an imperfect present, and on longings for the future.

True longing is a complex experience. To long for ‘something more’. ‘Far Country’ is where we have to feel incomplete and unsatisfied. Longing involves both positive and negative feelings. This ambivalence is something I hope my work communicates”.  


07/06/2013

c'est là l'océan


C’est à l’occasion d’un voyage que je ne voulais pas vain et vide de sens, que je me suis rendue compte la trente-sixième fois que le paysage – surtout la beauté du paysage – joue sur mon état d’âme. C’est dire qu’un beau paysage me rend de bonne humeur, me donne cette impression de bonheur instantané ou un peu plus prolongé, disons bonheur selon les intermittences du cœur.

À Victoria, au bord de l’océan Pacifique, assise sur un tronc d’arbre séché, regard vers l'horizon – je peux dire que j'ai retrouvé une forme de bonheur. Simplement. Ce bonheur de réaliser que la nature est là, présente ; sans prétention. Il suffit que je sois présente à mon tour pour qu'une douce sensation de calme me saisisse de la tête aux pieds.

Certes, les villes au bord de l’océan sont privilégiées, ou du moins, c’est l’impression que j’en ai. La jolie ville de Victoria m'a semblé encore plus séduisante parce qu’elle se trouve sur une île, et que l'entourent des montagnes. Imaginez que je descends une route en pente sur le campus de l’université de Victoria, et dans un petit quart d’heure, je suis à la plage. Les Prairies sont loin, je ne pense pas à Winnipeg, ni à la terre au centre du Canada, je me dis juste que certains étudiants sont plus chanceux que d’autres. Avoir l’océan à quelques dizaines de mètres de sa résidence ou de la salle de classe n'est pas rien. C'est même énorme.

Beautiful B.C. sur les plaques des voitures dans cette province fait pleinement du sens. 

Victoria, British Columbia