30/07/2012

stephen hutchings


J’écris « beau », ou plutôt je pense que « c’est beau »… et quelque chose m’échappe, me fuit, se dérobe à ma parole, comme si j’avais voulu fixer ce qui est plus grand que moi. Je marche dans une salle de Winnipeg Art Gallery dont les murs sont couverts de tableaux immenses de Stephen Hutchings, peintre canadien contemporain. Les paysages en tons de brun, de vert foncé et d'ocre dégagent une ambiance mystérieuse, de flottement ; je vois l’orage descendre. De proche et de loin, je me dis que ces  tableaux  expriment assez bien « l’identité » du peintre  d'Ottawa, qui choisit de mettre la nature au centre de son projet ; cette nature à perte de vue que j’imagine parfois quand je prononce le mot Ontario. L’exposition s’intitule Landscapes for the End of Time, et en lisant l'introduction du catalogue, j’apprends que l’intention de Hutchings dans ce projet était de mener le visiteur à réfléchir à « l’homme face à l’éternité de la nature ». Comment vivre avec la conscience qu’on est mortel et que la nature qui nous entoure nous survivra ? Par ailleurs, il n’y a pas d’homme ou d’animal dans ses tableaux, comme si l’artiste ne souhaitait pas « mélanger » les deux univers. Après tout, ce qu'il voudrait peut-être nous transmettre est quelque chose comme : « oui, la nature m’occupe et occupe toute la place dans mes toiles, mais de pouvoir la peindre et d’avoir la satisfaction de réussir, me permet de m’approcher et de goûter un grain d’éternité ». 

Quant à moi, visiteuse, j’ajoute juste que ses tableaux ne m’ont pas fait regretter que je suis femme, donc être humain, et que la nature est plus grande que moi. Sans plus tarder pour réfléchir, j'ai simplement eu envie de sortir, d'imaginer cette nature sauvage en ville...  tant qu'il faisait encore du soleil. 

Landscapes from the End of Time, WAG

29/07/2012

king kong théorie


Vous avez peut-être lu Virginie Despentes, je ne sais pas quelle résonance ont fait ses textes en vous. Moi, j’avoue que son essai autobiographique, King Kong théorie (Grasset, 2006), qui m’est tombé sous la main récemment, m’a secouée -- je veux dire qu’il m’a fait penser à des sujets inhabituels, assez rares dans mes lectures, au point que je suis curieuse de voir plus loin.  Disons que j'aimerais savoir davantage sur Virginie Despentes et ses livres dérangeants, déstabilisants, qui rompent ouvertement avec le discours bien pensant de la France contemporaine sur la sexualité, le viol, la violence, la pornographie... Écrire et penser, dit-elle, depuis un lieu de non-féminité chez la femme et pour des hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ou pour ceux qui voudraient l’être et ne savent pas comment s’y prendre. « J’écris de chez les morches, pour les moches, les frigides, les mal baisées, (…) toutes les exclus du grand marché de la bonne meuf » (p. 11). Sa plume conteste, râle, met ensemble un manifeste pour un nouveau féminisme. 

Il y a cette autre question dans King Kong théorie : peut-on survivre à un viol et ne pas s’enfermer dans la honte, le silence et la complaisance ? Assumer et oser sortir à nouveau, faire avec le viol comme une condition inhérente et dangereuse de l’être femme. Cette attitude est risquée, elle le reconnaît, et pas pour tout le monde. Ce n’est pas exactement la même chose de violer et d’être violée. Oui, on peut se vanter de la liberté de sortir en minijupe et avec des talons, provoquer, mais on subit dans le corps.

Plus loin, Despentes s'attaque aux valeurs culturelles bien installées et précises « qui prédestinent la sexualité des femmes à jouir de leur propre impuissance, c’est-à-dire de la supériorité de l’autre, autant qu’à jouir contre leur gré, plutôt que comme des salopes qui aiment le sexe. Dans la morale judéo-chrétienne, mieux vaut être prise de force que prise pour une chienne, on nous l’a assez répété. Il y a une prédisposition féminine au masochisme, elle ne vient pas de nos hormones, ni du temps des cavernes, mais d’un système culturel précis, et elle n’est pas sans implications dérangeantes dans l’exercice que nous pouvons faire de nos indépendances » (p. 56). Finalement, pas évident de s’apercevoir que ce qu’on prend pour des valeurs acquises est contestable, hypocrite. L’inconscient collectif reste dans l'ombre mais il est  fondateur de comportements.

Qui connaît Virginie Despentes l'écrivaine sait peut-être qu'elle est aussi réalisatrice de cinéma, et là aussi, ses films qui traitent souvent de l’amour lesbien, des limites de la pornographie etc, sont dérangeants ; voir Bye-Bye Blondie. Cette femme ose tirer à la lumière du jour ce qu'on voudrait caché, elle montre, parle, pense. Dans une entrevue, je l’ai entendu dire que plus de films X et meilleurs pourraient  apaiser la violence environnante. Bref, imaginer qu’il y aura moins d’hommes à la guerre et moins de femmes violées, maltraitées…s'il y avait accès à la porno sur grand écran. Y croire ou pas, c’est une idée, un fantasme, une folie... Pourquoi pas ?

Je disais King Kong théorie - dont le titre est un clin d’œil au film du même nom -, le livre contient un chapitre intitulé « King Kong Girl », effervescent et drôle à la fois. On comprend ici que le monstrueux, brutal, primitif, animal n’est pas toujours à prendre pour dangereux ou « à éviter ». King Kong fonctionne comme une métaphore d’un être avant la distinction des genres telle qu’imposée politiquement vers la fin du XIXe siècle, et son jeu permet d'envisager des va-et-vient intéressants entre l’homme et le monstre, le bon et le méchant, le primitif et le civilisé, le brun et la blonde etc. Hybride, sans l’obligation d’être discriminatoire ou dans une pensée du binaire.

Pour terminer, je partage ce fragment que je trouve plutôt joli ; coup de balai aux illusions -- 

« Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l’ai jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas ». (14)

À moins qu’elle ne nous réserve des surprises ? Et là, c'est parti -- la machine à rêves et à d'autres imaginaires  tourne à l'infini...

28/07/2012

rue ordener, rue labat


Je ne sais pas ce que je veux faire avec ces fragments que j’écris ça et là, et cette question, je ne peux la poser à personne ; c’est moi seule qui peux le sentir. Peut-être que dans un temps les choses vont s’éclaircir et me viendra une idée qui pourrait rendre cohérent ce que je m’apprête de faire à travers l’écriture. Ou peut-être, cette même idée me servira de prétexte à faire éclater ces textes dans tous les sens.

Hier, relisant Rue Ordener, Rue Labat de Sarah Kofman, récit autobiographique de 1994, j’ai compris encore une fois que les livres qui m’intéressent sont souvent ceux où le "je" qui écrit une histoire personnelle conduit à éclaircir un épisode de la grande histoire. Chez Kofman, nous sommes pendant l’Occupation à Paris, quand les rafles s’amplifient le jour et la nuit. Le père rabbin est « ramassé » le 16 juin 1942 ; la mère reste avec six enfants de deux à douze ans. Ils se cachent comme ils peuvent et vont survivre. Du père, il n’y aura aucune nouvelle sauf une carte postale de Drancy, puis on apprend qu’il est mort à Auschwitz. Sarah raconte ce souvenir des années après. Je ne suis pas la seule à imaginer que ses mots font écho à tant d’autres enfants qui ont perdu leurs parents...

« Nous ne revîmes, en effet, jamais mon père. Aucune nouvelle non plus, sauf une carte envoyée de Drancy, écrite à l’encre violette, avec un timbre sur le dessus représentant le maréchal Pétain. Elle était écrite en français de la main d’un autre. Sans doute lui avait-elle été interdit d’écrire en yiddish ou en polonais, langues dans lesquelles il communiquait ordinairement avec nous. Emigrés en France depuis 1929, mes parents m’étaient guère ‘assimilés’ et nous tous, nés en France, et naturalisés français, apprîmes le français à l’école. Dans cet ultime signe de vie où il annonçait sa déportation, il demandait que dans le colis de deux kilos autorisé légalement, on lui fît surtout parvenir des cigarettes. Et il recommandait à ma mère de bien s’occuper du petit dernier.

À la mort de ma mère, il fut impossible de retrouver cette carte que j’avais relue si souvent que j’aurais voulu conserver à mon tour. C’était comme si j’avais perdu mon père une seconde fois. Rien ne restait plus désormais, même plus cette seule carte qui n’avait pas été écrite de sa main.

Après la guerre, arrive l’acte de décès d’Auschwitz ».  (p. 15-16)

De son père, il lui reste seulement le stylo, objet symbolique de l’écriture. Sarah Kofman commence  le récit en l'évoquant, car c’est en quelque sorte grâce à ce stylo qu’elle écrit l’histoire de sa famille, pour mémoire : « Je le possède (le stylo) toujours, rafistolé avec du scotch, il est devant mes yeux sur ma table de travail et il me contraint à écrire, écrire… » (p. 9).

Écrire sous le regard du père, "sous contrainte", Sarah le fait parce qu'elle croit dans le pouvoir des mots qui lui viennent d'ailleurs, sans se rebeller comme le feraient par exemple des féministes afin de se réclamer une certaine autonomie par rapport à la lignée paternelle. Chez Kofman, il s’agit de reconnaître cette lignée du père, dont elle tente de transmettre la mémoire. Et il y a autre chose qui se  dégage de Rue Ordener, Rue Labat : la grâce presque palpable d’un récit épuré qui dit dans des mots simples et précis la vie d'une famille prise dans la machine meurtrière de l'Histoire. Ces mots suspendent le temps dans l’éternité.

À Paris, le 6 juillet, nous étions assises sur une terrasse. Il faisait bon et quelques rayons de soleil tombaient encore sur notre table, même s’il était presque 21 heures. Mon amie me parlait des hirondelles qu’on n’entendait pas ce soir-là, et entre deux gouttes, je me souviens qu’elle avait prononcé le titre du livre de Sarah Kofman, sans insister ; comme ça, en passant. Nous n’en avons pas parlé alors, mais aujourd’hui, je me dis que quelque chose dans sa voix à dû me donner envie de reprendre ce texte. Je l’ai fait, et cet après-midi en écrivant ces lignes, j’ai une pensée pour elle. 

25/07/2012

penser le couple


Je ne connais pas d’ouvrage de synthèse sur l’histoire du couple hétérosexuel en Occident, mais la question m’est apparue intéressante lorsque je me suis mise à regarder des textes qui pourraient faire partie du programme d’un cours de littérature à l’université. Il est connu que dans la modernité, le couple qu’ont formé Sartre et de Beauvoir reste incontournable. Que nous dit ce couple aujourd’hui ? Par-delà l’audace de leur être au monde, j’aime voir Sartre et de Beauvoir comme ceux qui ont su fissurer l’exaltation amoureuse et les illusions de ce qu'on croit être l'amour, tout en maintenant le couple ; le couple non pas comme idéalisation mais comme dialogue, comme débat. Le couple fissuré en pleine lumière – peut-être ; avec des non-dits, des censures, des blessures que beaucoup tentent d’éviter, des maîtresses ; et toujours avec de l'écriture. Peut-être un couple qui se donne des défis, mais qui maintient d’emblée le respect de la pensée et une extraordinaire générosité.

Et pour revenir à la question que je posais : qu’est-ce qu’il nous lègue, ce couple ? Je dirais qu’il nous lègue cette générosité si on se tient au plan intime, un art de vivre capable de maintenir aux yeux du monde la possibilité d’un dialogue entre deux individus autonomes – non pas le couple des Lumières tissé autour de la procréation et comme noyau de la société – mais un lien qu’il nous reste à inventer ; un lien risqué et incertain comme la pensée qui nous apprend à faire avec le désaccord et à ne pas perdre la générosité.


24/07/2012

ru

Je lis Ru de Kim Thuy. Ses souvenirs de réfugiée vietnamienne qui arrive au Québec à 10 ans avec sa famille, appellent mes propres souvenirs, comme si son récit était un prétexte tantôt à la nostalgie, tantôt au recueillement, oscillant entre amusement et tragique, entre les fausses séparations et les retrouvailles, entre un lieu qu’on quitte et un autre qui devient le nôtre. Je lis, je m’arrête, je reprends ; je cherche à couper ses souvenirs avec les miens. Le livre m’accroche, je le finis pendant les deux heures de vol entre Ottawa et Winnipeg. Disons que le récit me plaît parce qu’il me donne envie d’écrire ; écrire pour faire de la place aux souvenirs, pour qu’ils viennent vers moi et restent inscrits. Ou encore, écrire pour faire lien avec ce qui a été, avec ceux qui ont été. Ce rappel de la transmission est intéressant chez Kim Thuy, il s'agit de « la possibilité de ce livre », comme elle dit à la fin ; la possibilité que les générations se rencontrent et ne s’oublient pas, l’écrit étant peut-être le meilleur moyen de le signifier.

« Quant à moi, il en est ainsi jusqu’à la possibilité de ce livre, jusqu’à cet instant où mes mots glissent sur vos lèvres, jusqu’à ces feuilles blanches qui tolèrent mon sillage, ou plutôt le sillage de ceux qui ont marché avant moi, pour moi. Je me suis avancée dans la trace de leur pas comme un rêve éveillé où le parfum d’une pivoine éclose n’est plus une odeur, mais un épanouissement ; où le rouge profond d’une feuille d’érable  à l’automne n’est plus une couleur, mais une grâce ; où un pays n’est plus un pays mais une berceuse.

Et aussi, où une main tendue n’est plus un geste, mais un moment d’amour, prolongé jusqu’au sommeil, jusqu’au réveil, jusqu’au quotidien ».

**
« En français ru signifie « petit ruisseau » et, au figuré, « écoulement (de larmes, de sang, d’argent) » (Le Robert historique). En vietnamien, ru signifie « berceuse », « bercer ».



22/07/2012

van gogh de près


Van Gogh justement. L’exposition Van Gogh de près qui se tient en ce moment au Musée des Beaux-Arts du Canada s’intéresse aux quatre ans que le peintre a passé en France (1886-1890) et c’est l’occasion de découvrir sa manière de regarder et de représenter la nature. Il y a des tableaux où Van Gogh peint des vues changeantes d’un champ de lavande ou d’un jardin, et d’autres, où il se concentre sur un seul iris prêt à éclore ou une touffe d’herbe. Ses approches conduisent le regardeur à réfléchir au point de vue, à la mise en perspective, la distance focale, l'arrière-plan... L’exposition commence avec le travail du peintre à Paris et l’accompagne jusqu’à la fin de sa vie - le 27 juillet 1890, il se tire un coup de pistolet et meurt deux jours après avec son frère Théo à ses côtés. Les salles du musée accueillent des toiles groupées sous divers thèmes : ligne d’horizon, gros plan, détails rapprochés, contraste proche-lointain, fortes diagonales, fleurs etc.

Marcher, s’arrêter, observer attentivement, revenir sur ses pas - il y a du monde dans l’exposition. Dans les regards, je crois apercevoir une onde de joie, quelque chose comme une reconnaissance, un rappel peut-être que c’est bon d’aimer les fleurs, les branches d’amandier, les haies d’aubépines.... Van Gogh, en fin observateur de la nature, a su nous transmettre cet amour. Je peux imaginer que pas un jour ne passait sans que le peintre ne soit attiré par la vue d’un champ ou d’un nuage qu’il dessinait et éternisait en tableau. 

Il y a aussi cette pensée que j’ai eue en sortant du musée : que l’œuvre d’art peut nous rapprocher de la nature ; nous sensibiliser à ce qui nous entoure. Et pourquoi ne pas aller jusqu’à imaginer que tel arbre du parc ou telle rangée de fleurs pourrait nous inspirer un projet artistique ? Van Gogh est là pour nous montrer que la nature et l’art se répondent en écho. Reste à l'homme de maintenir vivant  ce dialogue. 

17/07/2012

le garçon qui voulait dormir

Les jours passent et je me rends compte que L’enfant qui voulait dormir, le dernier livre de Aharon Appelfeld, continue de me parler silencieusement, comme si la voix du narrateur entre récits de rêve et vécu, avait encore quelque chose à me dire par-delà les mots. Des murmures parviennent jusqu’à moi, je m’aperçois que l’écrivain a fait le choix du rêve pour renouer avec un passé douloureux, pour rompre avec le temps chronologique et pallier le manque…, mais qu’importe que je vois les ficelles de son travail ? Ce qui me touche, c’est l’histoire de l'écrivain – car le récit est autobiographique – une histoire de vie singulière qui pourrait être l’histoire de tant d’autres vies d’enfants de la shoah.

Il a 17 ans, il est le narrateur. Lentement, il ouvre les yeux, ses paupières entrevoient la lumière, il émerge des rives bienveillantes du sommeil, là où ses parents sont encore vivants, où les camps et le ghetto n’existent pas, ni le froid ou la faim, la violence ou la mort. Affaibli, les yeux mi-clos, Erwin a tout perdu et tente de revenir à la vie. En Palestine, il apprend l’hébreu en copiant des passages de la Bible et  s’émerveille du pouvoir rédempteur de la langue. Il lutte, ne cesse de lutter contre une blessure de guerre qui l’immobilise, et par-dessus tout, il "se prépare pour devenir écrivain". Pas à pas, l’écriture devient la voie miraculeuse d’une renaissance et d’une alliance éternelle avec la nature et avec ceux qui ne sont plus, ses parents.

Les dernières lignes du récit en disent long sur ce lien indestructible avec les siens et avec la terre natale :

-       - C’est le voyage qui me guérira.
(…)
-       - Maman, je dois le faire. Les arbres des Carpates, les rochers et les collines m’expliqueront ce que je ne comprendrai pas et, si je n’arrive pas à voir les merveilles, l’enfant qui est demeuré là-bas me les montrera. J’en ai tant vu dans mon enfance, mais j’ignorais qu’il s’agissait de prodiges. Je marcherai d’un endroit à l’autre jusqu’à ce que je sois passé par tous les lieux où nous avons été, et par tous ceux sur lesquels j’ai entendu des histoires.
-      - Mon chéri, attends que ton père soit rentré des camps. Il ne faut pas que tu partes seul, ce sont des régions froides et dangereuses. Reste là où tu es, pour l’heure, laisse les lieux lointains venir à toi – dit-elle – avant de disparaître de ma vue. (p. 299)


***
C'étaient des enfants..



13/07/2012

rime

Depuis que je suis en vacances, me viennent à l’esprit des mots qui font une sorte de rime ; ils s’accrochent, insistent, persistent, appellent peut-être que je les écrive.

Quelle est votre faiblesse et à quoi
silencieusement, vous lie-t-elle ?
dites-moi quelque chose qui soit autre chose
qu’un cliché repris chez les autres

Petit à petit
je m’habitue à l’idée
que je suis composée
que nous sommes composées
de notre histoire
une histoire qui commence avant nous
et par laquelle nous sommes traversés
une histoire
qui nous traverse
petit à petit
je m’habitue à l’idée
que je suis traversée

Une par une, les histoires brèves du dernier livre d’Olivia Rosenthal se succèdent comme des voix qui disent comment le cinéma peut nous toucher ; nous donner le vertige. Ils ne sont pour rien dans mes larmes est un livre issu d’un projet où l’auteure a mené des entrevues en posant cette question simple et vertigineuse, « quel film a changé votre vie ? ». Le récit qu’elle en a fait est un ensemble cohérent où on prend un certain plaisir à se rappeler que l’art n’est pas coupé de la vie et que le cinéma dépasse la réalité.

09/07/2012

aracachon


Il faut voir Arcachon pour se rappeler que la vieillesse existe et qu’elle est synonyme de bien-être. Au bord de la mer, des couples d’âge assez avancé se promènent bras dessus bras dessous en amoureux, ils se sourient, discutent, s’arrêtent sur un banc ; bref, ils semblent heureux. En les observant, vous vous dites que dans la trentaine, le bonheur devrait être facile ; pourtant, il ne court pas toujours les rues.

Il m’a fallu être à Arcachon pour lire enfin Putain (2001) de Nelly Arcan dont j’avais entendu parler depuis longtemps, et cela, après avoir fini le dernier livre de Nancy Huston, Reflets dans un œil d’homme, où l’écrivaine parle de féminité et de fécondité en nous rappelant des femmes belles et brisées comme Marylin Monroe, Nelly Arcan, Jean Seberg ou encore Anaïs Nin, qui ont consacré leur existence à des recherches complexes et compliquées… quête de l’amour, de la beauté, d'une carrière ; voyages, aventures, rencontres. Il m’a fallu aussi être dans un état moins gai pour terminer Putain, car le récit vous coupe souvent le souffle par ses témoignages crus ; il prend la forme d’une longue litanie où la prostituée patiente entre deux clients, se dédouble, s'interroge et raconte son quotidien comme si elle tentait de l'exorciser, de le pousser un peu plus loin pour se maintenir en vie. 

J’entends encore la voix de Nelly Arcan remplie de rage, puis apaisée, puis encore enragée. De temps à autre, me reviennent des phrases De l’identité à l’existence de Daniel Sibony. Elles m’apparaissent alors comme un filet de secours ; des mots à entendre pour se convaincre que la vie est malgré tout bienveillante, que tout n’est pas barré et le possible reste possible. Pour Nelly Arcan, ce ne fut pas le cas, elle s’est donné la mort en septembre 2009 à Montréal. J'avoue que son livre a balayé pour moi une couche assez épaisse d’innocence.