Vous avez peut-être lu Virginie Despentes,
je ne sais pas quelle résonance ont fait ses textes en vous. Moi, j’avoue
que son essai autobiographique, King Kong
théorie (Grasset, 2006), qui m’est tombé sous la main récemment, m’a secouée -- je veux dire qu’il m’a fait penser à des sujets inhabituels, assez rares dans mes lectures, au point que je suis curieuse de voir plus loin. Disons que j'aimerais savoir davantage sur
Virginie Despentes et ses livres dérangeants, déstabilisants, qui rompent ouvertement avec le discours bien pensant de la France contemporaine sur la sexualité, le viol, la violence, la pornographie... Écrire et penser, dit-elle, depuis un lieu de non-féminité chez la femme et pour des hommes qui n’ont pas envie d’être
protecteurs, ou pour ceux qui voudraient l’être et ne savent pas comment s’y prendre. « J’écris de chez les morches, pour les
moches, les frigides, les mal baisées, (…) toutes les exclus du grand marché de
la bonne meuf » (p. 11). Sa plume conteste, râle, met ensemble un manifeste pour un nouveau féminisme.
Il y a cette autre question dans King Kong théorie :
peut-on survivre à un viol et ne pas s’enfermer dans la honte, le silence et la
complaisance ? Assumer et oser sortir à nouveau, faire avec le viol comme
une condition inhérente et dangereuse de l’être femme. Cette attitude est risquée,
elle le reconnaît, et pas pour tout le monde. Ce n’est pas exactement la même chose
de violer et d’être violée. Oui, on peut se vanter de la liberté de sortir en
minijupe et avec des talons, provoquer, mais on subit dans le corps.
Plus loin, Despentes s'attaque aux valeurs culturelles bien installées et précises « qui prédestinent la sexualité des femmes à jouir de leur propre
impuissance, c’est-à-dire de la supériorité de l’autre, autant qu’à jouir
contre leur gré, plutôt que comme des salopes qui aiment le sexe. Dans la morale
judéo-chrétienne, mieux vaut être prise de force que prise pour une chienne, on
nous l’a assez répété. Il y a une prédisposition féminine au masochisme, elle
ne vient pas de nos hormones, ni du temps des cavernes, mais d’un système
culturel précis, et elle n’est pas sans implications dérangeantes dans
l’exercice que nous pouvons faire de nos indépendances » (p. 56).
Finalement, pas évident de s’apercevoir que ce qu’on prend pour des valeurs
acquises est contestable, hypocrite. L’inconscient
collectif reste dans l'ombre mais il est fondateur de comportements.
Qui connaît Virginie Despentes l'écrivaine sait peut-être qu'elle est aussi
réalisatrice de cinéma, et là aussi, ses films qui traitent souvent de l’amour lesbien, des limites
de la pornographie etc, sont dérangeants ; voir Bye-Bye Blondie. Cette femme ose tirer à la lumière du jour ce qu'on voudrait caché, elle montre, parle, pense. Dans une entrevue, je
l’ai entendu dire que plus de films X et meilleurs pourraient apaiser
la violence environnante. Bref, imaginer qu’il y aura moins d’hommes à la
guerre et moins de femmes violées, maltraitées…s'il y avait accès à la porno sur grand écran. Y croire ou pas, c’est une
idée, un fantasme, une folie... Pourquoi pas ?
Je disais King Kong théorie - dont
le titre est un clin d’œil au film du même nom -, le livre contient un chapitre intitulé
« King Kong Girl », effervescent et drôle à la fois. On comprend ici que le monstrueux, brutal, primitif, animal n’est
pas toujours à prendre pour dangereux ou « à éviter ». King Kong
fonctionne comme une métaphore d’un être avant la distinction des genres telle
qu’imposée politiquement vers la fin du XIXe siècle, et son jeu permet d'envisager des va-et-vient intéressants entre l’homme et le
monstre, le bon et le méchant, le primitif et le civilisé, le brun et la blonde
etc. Hybride, sans l’obligation d’être discriminatoire ou dans une pensée du
binaire.
Pour terminer, je partage ce fragment que je trouve
plutôt joli ; coup de balai aux illusions --
« Parce
que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas
effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme,
mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se
faire défigurer par les chirurgiens de l’esthétique, maman épanouie mais pas
accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison
mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femme
blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle
on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup
s’emmerder pour pas grand-chose, de toutes façons je ne l’ai jamais croisée,
nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas ». (14)
À moins qu’elle ne nous réserve des
surprises ? Et là, c'est parti -- la machine à rêves et à d'autres imaginaires tourne à l'infini...
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