30/10/2013

mélanges


Que dirais-tu si un jour elle te disait que la danse traditionnelle ukrainienne a piqué sa curiosité ? C’était assez pour qu’elle s’achète un billet au spectacle anniversaire de 50 ans de Rusalka – Ukrainian Dance Ensemble. Par ennui plutôt, ou peut-être pour faire un peu plaisir à une collègue qui lui en parlait depuis l’été. Simplement.


Blue Is the Warmest Colour. J’aime le titre du film La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche traduit en anglais. Adèle en robe bleue, désinvolte, le cœur encore brisé, qui tente de se perdre parmi les invités à la réception d’inauguration de l’exposition de peintures de son ex-amoureuse, Emma. Pourtant, le bleu qu’elle porte attire les regards, elle reçoit des compliments, retrouve des connaissances d'autrefois. Emma et Adèle se revoient après trois ans de rupture, désormais deux étrangères, deux mondes qui n’ont plus rien en commun. La fin du film est poignante.


J’avais essayé de lui en parler. Encore. Mais je savais que cela allait mal se terminer. Mieux vaut s’occuper d’écrire des poèmes comme elle le fait depuis vingt ans, que de commencer à faire des essais sur commande, comme on dit. A-t-elle oublié que la prose n’est pas sa tasse de thé ? Huit mois plus tard, elle a perdu et le temps et le contrat signé pour cet essai. En larmes, le moral à plat.


19/10/2013

the orenda


Dans la rue à Winnipeg, au coin de Portage et Vaughan Avenue, elle est apparue devant moi, farouche, en pleurs : I need two dollars, please ! Please! My daughter is in an accident, I need to take the bus. L'instant d'après, cette femme indigène d’une trentaine d’années est disparue comme elle est arrivée, en courant. J'ai eu besoin d'une minute pour absorber ce qui venait de se passer : une scène de rage, de mépris, où une femme autochtone versait sa colère du moment sur une passante, blanche celle-là, aux cheveux blonds, moi qui me trouvais à cet endroit, à ce moment précis. 

Bref, je me dis que je comprendrai peut-être un peu mieux cet incident si je le mets dans le contexte des tensions actuelles au Canada, entre les Premières Nations et le gouvernement, surtout au Nouveau Brunswick. Les médias écrivent à ce sujet depuis quelques jours déjà : les revendications territoriales des indigènes, le souci que l’eau d’une des plus pauvres réserves près de Moncton pourrait être contaminée par les forages de gaz de schiste etc… Et autres choses encore que je ne connais pas.
En deux mots : les négociations entre les deux parties ont fini péniblement dans l’échec total du dialogue ; pire, avec des voitures de police brûlées dans la foulée. 

Que dire donc de cette grogne entre autochtones et blancs, qui me saute parfois aux yeux au centre-ville de Winnipeg ? Une réponse pourrait tenir aujourd'hui : se tourner vers la littérature, vers des romans ou des récits historiques, pour tenter de saisir autrement qu'à fleur de peau, le noyau du problème. Je pense ici au dernier livre de Joseph Boyden, The Orenda, déjà tête de liste de deux prix prestigieux au Canada : le prix du Gouverneur Général et le Giller Award. Boyden est un jeune écrivain aux origines mixtes, indigènes et européennes, né à Toronto, qui vit une partie de l'année à la Nouvelle-Orléans. The Orenda est son quatrième roman. Dans ce récit, il nous livre une saga impressionnante de plus de 500 pages, racontée à la première personne par trois narrateurs qui appartiennent à trois peuples différents : Bird est Wendat (Huron) ; Snow Fall, Iroquois, et Crow, Jésuite venu en mission de France. On imagine désormais que l'action se déroule il y a plus de 450 ans au Nouveau Monde, dans la Nouvelle-France, lors de l’arrivée des premiers colons européens.

Hier soir, Joseph Boyden était en tournée littéraire à Winnipeg. Lors d'une table ronde pour lancer son roman, il a ouvert toute une série de sujets simples et complexes sur l’écriture et  l'histoire, sur la mission de l’écrivain contemporain dans la société, la visée politique de certains récits, son parcours personnel et la venue à l'écriture etc. Dans la conversation, une idée semblait revenir un peu partout : que faire, ou comment faire de la littéraire quand il s'agit de repenser et de "corriger" des préjugés sur les Premières Nations ? Ou encore, que sait-on aujourd'hui de ces peuples qui vivaient en Amérique du Nord quand les Européens sont arrivés, et qui continuent d'y vivre par endroits ? Ces nations premières, soutient Boyden, avaient et ont une spiritualité complexe, riche, intéressante, qu’on gagnerait probablement de (ré)découvrir. C'était grosso modo, le message de l'auteur. 

Quant au livre, je suis certaine qu’on entendra encore en parler. 

Pour terminer, je laisserai ici un passage du début du roman - un extrait du journal de Crow (le Jésuite de France), sur The Kettle, the Huron Feast of the Dead.... Avant-goût pour une lecture éventuelle. 

"…the most splendid thing I’ve yet to see in this heathen land… All these communities descend upon their respective cemeteries and unearth their deceased from the tombs in which they lay. Each family sees to its dead with such bereavement and care, their tears falling like raindrops… some are simply bones, others have only a type of parchement over their bones… Still others, the recently departed, crawl with worms… once the bodies have been unearthed, they are put on display so all family members might grieve anew, and it’s this that strikes me as especially powerful, the willingness of the sauvages to gaze down what they each will one day become. There’s something in this particular practice that can teach us Christians a powerful lesson".

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The source for this description is Volume X of the Jesuit Relations (all 71 volumes are online, translated into English); Huronia, 1636, written by Brébeuf.

18/10/2013

the handmaid's tale


Salle comble à Winnipeg pour la première du ballet The Handmaid’s Tale, inspiré par le récit célèbre de Margaret Atwood. L’écrivaine est présente au pre-show talk pour mettre en contexte l’histoire : elle a écrit le livre à Berlin en 1984-85, sous le régime communiste donc, sans imaginer que cinq ans après le Mur allait tomber. Il y a une idée qui l'a marquée dans ce séjour en Europe, et qu'elle a travaillée en profondeur dans son récit : que les régimes totalitaires ou communistes ne durent pas à jamais. Ils sont des mécanismes précaires qui finissent par tomber.

En bref, l'histoire de The Handmaid's Tale a lieu en 1946, à la fin de la Seconde Guerre, dans une société anonyme où la femme se bat pour se libérer de l’emprise patriarcale d’un monde mené par des hommes. La danse, la grâce du mouvement, le décor ingénieux de spectacle de théâtre – ce décor reste le même du début à la fin, mais l’intégration des vidéos, les lumières, les costumes militaires des hommes ou les uniformes des femmes qui travaillent à l’usine – la performance dans son ensemble nous livre une narration fragmentée et unitaire de première classe. On voit défiler sur scène la vie d’une femme du vingtième siècle dans un pays totalitaire. Cela pourrait se passer en Allemagne, en Russie ou en Chine… ou ailleurs sur cette planète. La chorégraphe new-yorkaise Lila York a réussi son coup : un spectacle de ballet féérique qui vous laisse rêveur et pensif par-delà la danse et la musique. Lila York avoue avoir travaillé sur ce projet pendant une dizaine d’année. Je ne suis pas la seule, je crois, à dire que cela a valu la peine. On aurait envie de voir la suite.

16/10/2013

nostalgie


Cette nostalgie reviendrait par poèmes, bribes d’histoires, mots d’esprit, parfois des proverbes en anglais ou en français, des mots fragmentés, bons mots mais avec quelque chose de mort dans la couleur du faux souvenir. Entretenir les ruines? Les reliques ? Le culte des morts ? Après le déluge ? Cette image d’apocalypse où je me réveille et tout est blanc, feutré, enrobé dans un silence irréel. 

Les frontières ne se traversent pas. On les passe comme les ponts. De l’autre côté des frontières, les mots n’ont plus la même couleur. Tu as toujours vécu au-delà des frontières, un langage, un langage silencieux et pourtant bavard, du long des routes de l’Europe centrale, là où les nuages survolent les forêts et se perdent derrière la pointe des montagnes. 

Une trace de ces nuages à Winnipeg, à Toronto; à peine perceptible.
Le Canada clignote, brûle de trop de lumière, avale les nuages –
PETRO-Canada
McDonalds
Starbucks
Subway
The Bay.

12/10/2013

12 octobre


Le temps apaise la mélancolie, dit-on, et puisque l’idée se vérifie, nous nous imaginons que c’est le temps qui passe, et qui apaise l’humeur noire, comme si la tristesse diminuait avec la distance à l’instar de la pointe d’une montagne qui se perd dans les nuages ; or c’est bien plutôt l’endurcissement de notre sensibilité, l’épaississement de notre peau qui nous rend peu à peu indifférents ; ce manteau de cuir qui nous sépare désormais de l’intolérable malaise.  

L’été s’en va et avec lui, les images de paysages de la campagne manitobaine s’estompent, se perdent dans le brouillard de ma mémoire.

De loin et de proche, imaginer l’hiver à Winnipeg me donne une sensation presque palpable de froid. La musique chaude, méditerranéenne, dans ce café, n’y peut rien.

vues du Manitoba