19/10/2013

the orenda


Dans la rue à Winnipeg, au coin de Portage et Vaughan Avenue, elle est apparue devant moi, farouche, en pleurs : I need two dollars, please ! Please! My daughter is in an accident, I need to take the bus. L'instant d'après, cette femme indigène d’une trentaine d’années est disparue comme elle est arrivée, en courant. J'ai eu besoin d'une minute pour absorber ce qui venait de se passer : une scène de rage, de mépris, où une femme autochtone versait sa colère du moment sur une passante, blanche celle-là, aux cheveux blonds, moi qui me trouvais à cet endroit, à ce moment précis. 

Bref, je me dis que je comprendrai peut-être un peu mieux cet incident si je le mets dans le contexte des tensions actuelles au Canada, entre les Premières Nations et le gouvernement, surtout au Nouveau Brunswick. Les médias écrivent à ce sujet depuis quelques jours déjà : les revendications territoriales des indigènes, le souci que l’eau d’une des plus pauvres réserves près de Moncton pourrait être contaminée par les forages de gaz de schiste etc… Et autres choses encore que je ne connais pas.
En deux mots : les négociations entre les deux parties ont fini péniblement dans l’échec total du dialogue ; pire, avec des voitures de police brûlées dans la foulée. 

Que dire donc de cette grogne entre autochtones et blancs, qui me saute parfois aux yeux au centre-ville de Winnipeg ? Une réponse pourrait tenir aujourd'hui : se tourner vers la littérature, vers des romans ou des récits historiques, pour tenter de saisir autrement qu'à fleur de peau, le noyau du problème. Je pense ici au dernier livre de Joseph Boyden, The Orenda, déjà tête de liste de deux prix prestigieux au Canada : le prix du Gouverneur Général et le Giller Award. Boyden est un jeune écrivain aux origines mixtes, indigènes et européennes, né à Toronto, qui vit une partie de l'année à la Nouvelle-Orléans. The Orenda est son quatrième roman. Dans ce récit, il nous livre une saga impressionnante de plus de 500 pages, racontée à la première personne par trois narrateurs qui appartiennent à trois peuples différents : Bird est Wendat (Huron) ; Snow Fall, Iroquois, et Crow, Jésuite venu en mission de France. On imagine désormais que l'action se déroule il y a plus de 450 ans au Nouveau Monde, dans la Nouvelle-France, lors de l’arrivée des premiers colons européens.

Hier soir, Joseph Boyden était en tournée littéraire à Winnipeg. Lors d'une table ronde pour lancer son roman, il a ouvert toute une série de sujets simples et complexes sur l’écriture et  l'histoire, sur la mission de l’écrivain contemporain dans la société, la visée politique de certains récits, son parcours personnel et la venue à l'écriture etc. Dans la conversation, une idée semblait revenir un peu partout : que faire, ou comment faire de la littéraire quand il s'agit de repenser et de "corriger" des préjugés sur les Premières Nations ? Ou encore, que sait-on aujourd'hui de ces peuples qui vivaient en Amérique du Nord quand les Européens sont arrivés, et qui continuent d'y vivre par endroits ? Ces nations premières, soutient Boyden, avaient et ont une spiritualité complexe, riche, intéressante, qu’on gagnerait probablement de (ré)découvrir. C'était grosso modo, le message de l'auteur. 

Quant au livre, je suis certaine qu’on entendra encore en parler. 

Pour terminer, je laisserai ici un passage du début du roman - un extrait du journal de Crow (le Jésuite de France), sur The Kettle, the Huron Feast of the Dead.... Avant-goût pour une lecture éventuelle. 

"…the most splendid thing I’ve yet to see in this heathen land… All these communities descend upon their respective cemeteries and unearth their deceased from the tombs in which they lay. Each family sees to its dead with such bereavement and care, their tears falling like raindrops… some are simply bones, others have only a type of parchement over their bones… Still others, the recently departed, crawl with worms… once the bodies have been unearthed, they are put on display so all family members might grieve anew, and it’s this that strikes me as especially powerful, the willingness of the sauvages to gaze down what they each will one day become. There’s something in this particular practice that can teach us Christians a powerful lesson".

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The source for this description is Volume X of the Jesuit Relations (all 71 volumes are online, translated into English); Huronia, 1636, written by Brébeuf.

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