Dans la
rue à Winnipeg, au coin de Portage et Vaughan Avenue, elle est apparue devant
moi, farouche, en pleurs : I need two dollars, please ! Please! My daughter is in an accident, I
need to take the bus. L'instant d'après, cette femme indigène d’une trentaine d’années est disparue comme elle est arrivée, en courant. J'ai eu besoin d'une minute pour absorber ce qui venait de se passer : une scène de
rage, de mépris, où une femme autochtone versait sa colère du moment
sur une passante, blanche celle-là, aux cheveux blonds, moi qui me trouvais à cet endroit, à ce moment précis.
Bref, je me dis que je comprendrai peut-être un peu mieux cet incident si je le mets dans le contexte des tensions actuelles au Canada, entre les Premières Nations et le gouvernement,
surtout au Nouveau Brunswick. Les médias écrivent à ce sujet depuis quelques
jours déjà : les revendications territoriales des indigènes, le souci que l’eau
d’une des plus pauvres réserves près de Moncton pourrait être contaminée par les forages de gaz de schiste etc… Et autres choses encore que je ne connais pas.
En deux mots : les négociations entre les deux parties ont fini péniblement dans
l’échec total du dialogue ; pire, avec des voitures de police brûlées dans la foulée.
Que dire
donc de cette grogne entre autochtones et blancs, qui me saute parfois aux
yeux au centre-ville de Winnipeg ? Une réponse pourrait tenir aujourd'hui :
se tourner vers la littérature, vers des romans ou des récits historiques, pour
tenter de saisir autrement qu'à fleur de peau, le noyau du problème. Je pense ici au dernier
livre de Joseph Boyden, The Orenda, déjà tête de liste de deux prix prestigieux au Canada :
le prix du Gouverneur Général et le Giller
Award. Boyden est un jeune écrivain aux origines mixtes, indigènes et
européennes, né à Toronto, qui vit une partie de l'année à la Nouvelle-Orléans. The Orenda est son quatrième roman. Dans ce récit, il nous livre une saga impressionnante de
plus de 500 pages, racontée à la première personne par trois narrateurs qui appartiennent à trois peuples différents : Bird est Wendat (Huron) ; Snow Fall, Iroquois, et Crow, Jésuite venu en mission de
France. On imagine désormais que l'action se déroule il y a plus de 450 ans
au Nouveau Monde, dans la Nouvelle-France, lors de l’arrivée des premiers colons européens.
Hier soir, Joseph
Boyden était en tournée littéraire à Winnipeg. Lors d'une table
ronde pour lancer son roman, il a ouvert toute une série de sujets simples et complexes sur l’écriture et l'histoire,
sur la mission de l’écrivain contemporain dans la société, la visée
politique de certains récits, son parcours personnel et la venue à l'écriture etc. Dans la conversation, une idée semblait revenir un peu partout : que faire, ou comment faire de la littéraire quand il s'agit de repenser et de "corriger" des préjugés sur les Premières
Nations ? Ou encore, que sait-on aujourd'hui de ces peuples qui vivaient en Amérique du Nord quand les Européens sont arrivés, et qui continuent d'y vivre par endroits ? Ces
nations premières, soutient Boyden, avaient et ont une spiritualité
complexe, riche, intéressante, qu’on gagnerait probablement de (ré)découvrir. C'était grosso modo, le message de l'auteur.
Quant au livre, je suis certaine qu’on entendra encore en parler.
Pour terminer, je laisserai ici un passage du début du roman - un extrait du journal de Crow (le
Jésuite de France), sur The Kettle, the
Huron Feast of the Dead.... Avant-goût pour une lecture éventuelle.
"…the most splendid thing I’ve yet to see in this
heathen land… All these communities descend upon their respective cemeteries
and unearth their deceased from the tombs in which they lay. Each family sees to
its dead with such bereavement and care, their tears falling like raindrops… some
are simply bones, others have only a type of parchement over their bones… Still
others, the recently departed, crawl with worms… once the bodies have been
unearthed, they are put on display so all family members might grieve anew, and
it’s this that strikes me as especially powerful, the willingness of the
sauvages to gaze down what they each will one day become. There’s something in
this particular practice that can teach us Christians a powerful lesson".
**
The source for this description is Volume X of the Jesuit Relations (all 71 volumes are online,
translated into English); Huronia,
1636, written by Brébeuf.
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