25/02/2011

lire et filmer "à la recherche du temps perdu"


Deux mille cinq cent trois pages d’À la recherche du temps perdu lues devant la caméra. Soit plus de 130 heures de film, rassemblées en ligne sur lebaiserdelamatrice.fr. Depuis 2008, le site créé par le Théâtre Paris-Villette et la réalisatrice Véronique Aubouy, est une collection de voix de gens du monde entier qui font revivre La Recherche de Proust par la lecture en français d’une page au hasard. Parmi les lecteurs qui se filment en lisant, on trouve des jeunes, des moins jeunes, des familles au complet, d’autres qui couvrent leur visage... sous la sonorité de leur accent, le texte prend vie et nous redonne envie de découvrir autrement une œuvre intimidante. 

13/02/2011

la reine alice

« Il n’y a pas de fin. Il n’y a pas de début. Il n’y a que la passion infinie de la vie ». Ce sont ces mots de Fellini que choisit Lydia Flem en exergue de son roman, La Reine Alice (Seuil 2011) qui vient d’être présenté cette semaine à La Grande librairie ; mots qui portent bien le message de ce conte moderne tissé entre Alice de l’autre côté du miroir et Le Petit Prince autour d’un personnage principal atteint de cancer qui ne lâche pas l'espoir de vivre. Psychanalyste et romancière qui vit entre la France et la Belgique, Lydia Flem croit au pouvoir de la littérature et donne voix à la réalité insoutenable de la maladie en composant un conte de fée captivant. Sous sa plume adroite s’anime avec panache un univers vivant, en apparence enfantin, féerique, mais plein de symboles, de contenu. Pourquoi le conte et pas le témoignage sur un sujet grave, la maladie ? Elle nous rappelle ici que toute histoire de conte de fée commence par une adversité : il y a des épreuves à passer, des montres, des ogres et le petit Poucet qu’on abandonne dans la forêt ; et il y a après les aventures drôles et effrayantes d’Alice, sa descente dans des contrées de lumière et d’ombre, des nains et des géants qui font peur et attisent la fascination. Il y a donc des parallèles entre la réalité hostile de la maladie et la fantaisie de ces contes.  

Par son récit où règne Alice, l’héroïne de Lewis Caroll, l’écrivaine donne à penser la traversée du miroir de la maladie. Grâce aux épreuves qu’elle transfigure en conte de fée, ses personnages sont obligés d’aller à la quintessence des choses et des soucis ; ils se trouvent des forces qu’ils ne se connaissaient, car pour gérer le danger et la monstruosité, il n’y a pas de mode d’emploi, ne serait-ce que l’humour, l’imagination, la rêverie, la capacité d’inventer des possibilités de « traverser le néant ». C’est le message de Lydia Fern dont on devine l’écoute analytique. Fern la  romancière amoureuse de littérature nous fait sourire par son personnage facétieux du docteur qui contre les insomnies prescrit une page de Proust chaque soir ; « Proust sur ordonnance ».

Chemin faisant, on croise dans ce roman Shéhérazade de Mille et une nuits, symbole de toutes les femmes qui par les mots repoussent la mort, espère retarder le danger, la violence ou la menace. À Shéhérazade, chaque matin, le sultan fait grâce d’un jour de plus, séduit par les contes qu’elle raconte. On en vient ainsi à penser à l’espoir de tout écrivain, de tout artiste qui par son œuvre entend reculer le temps, éloigner la mort. Car après tout, les mots, les images et l’imagination ont de quoi nous sensibiliser à ouvrir les yeux sur le monde. Il y a des belles choses à saisir, dit Lydia Fern par la voix d’Alice, des choses « à cueillir ici et maintenant parce qu’elles sont mortelles ». Et c’est peut-être cette éphémérité qui donne leur force ; une sorte de bénédiction.


Il n’y a donc pas de fin. Il n’y a pas de début non plus à cette histoire que j’aimerais lire. Il y a juste une heure d’échange à la Grande librairie, assez pour toucher des points de sensibilité, des germes de pensée pour accueillir un peu la réalité en conte de fée.

12/02/2011

1966 : le nouvel étudiant

À Toronto, curieuse, rêveuse, naviguant un peu au hasard sur Internet, je tombe sur le deuxième cours d’Antoine Compagnon à Paris, au Collège de France, cours intitulé en cette année 2011, 1966 : Annus Mirabilis. Me traverse d’esprit que Internet est ici une belle trouvaille. Grâce à lui, il m’est possible de rattraper le temps et de revoir ce cours du 11 janvier. Ce qui me frappe en écoutant, c’est le ton sérieux, la voix précise de Compagnon qui me paraît presque intimidante, comme si dans ce haut lieu de la culture française, le Collège de France, un discours moins formel n’avait pas de place. Le public attentif, absorbé, ne bouge pas. Dans la vidéo, j’aperçois plutôt des personnes d’un certain âge, la salle est pleine, accrochée au sujet. Rien à voir avec les séminaires qui se déroulent dans des universités canadiennes ou américaines, où on peut entrer avec le café, on finit le déjeuner, on jette un coup d’œil aux messages sur le iphone, on tourne et on s’endort parfois, ambiance clairement et violemment informelle.

Ce qui m’intéresse dans ce cours, ce sont les textes littéraires qui mettent en lumière des étudiants et qui restent comme des jalons pour la période autour de 1966. J’apprends avec Compagnon que le « nouvel étudiant » bourgeois qui est « non-héritier » de la tradition classique du XIXe siècle, est celui dont les parents n’ont pas fait d’études, un jeune qui se retrouve dans le malaise de la faculté et de l’époque. En 1965, pour la première fois dans le milieu intellectuel, Félix Guattari parle de la nouvelle « maladie mentale » des jeunes étudiants. Et dans la littérature, c’est Le Clézio qui dans son roman Le Procès-Verbal (1963), nous fait découvrir un personnage « évadé d’un asile psychiatrique », Adam Pollo, qu’on sait bien étudiant même si ce n’est pas posé explicitement. Voici une lettre que lui adresse ses parents :

« Dis-nous ce que tu comptes faire, où tu veux travailler, comment tu te débrouilles, où tu as l’intention d’aller – J’ai vu dans les journaux qu’ils demandent des instituteurs en Afrique Noire et en Algérie ; ce n’est pas tellement payé, mais ce pourrait être un début avant de faire autre chose ». (coll. Folio, p. 238)

On devine les hésitations de ce nouvel étudiant qui émerge en France dans les années 60 et les inquiétudes des parents qui semblent ne pas avoir d’époque. Toute la situation est d’ailleurs franchement actuelle. Pour un moment, oublions que ce roman de Le Clézio fut publié en 1963.

Plus loin, dans le texte, Adam Pollo se retrouve interné dans un asile et des chercheurs viennent lui rendre visite : un groupe d’étudiants en médecine et un docteur de 48 ans tentent de l’examiner et de lui mettre un diagnostique. Dans ce passage, on est saisis par l’humanité et la singularité d’une des étudiantes : « Après quelques minutes, il releva la tête et les regarda tous ; ils étaient sept en tout, sept jeunes, mâles et femelles, entre dix-neuf et vingt-quatre ans, plus un docteur d’environ 48 ans. Aucun d’eux ne le regardait. Ils parlaient à voix basse. Trois des jeunes prenaient des notes. Une quatrième fille lisait dans un cahier d’écolier ; c’était celle qui lui avait fait cadeau de son paquet de cigarettes. Elle avait vingt et un ans et quelque chose, elle s’appelait Julienne R., et il se trouvait qu’elle était svelte, étonnamment jolie ; elle avait des cheveux blonds coiffés en chignon et un grain de beauté au-dessus de la cheville droite […].
Elle fut la première à regarder vraiment Adam. […]
Elle était indéniablement celle qui avait le plus écouté les autres, aussi bien le médecin-chef que ses camarades d’étude ». (p. 273-74)

Des mots simples et vrais, troublants. On peut penser qu'aucun apprentissage, aucune pratique d’étude ne devrait effacer notre part d’humanité. Cette jeune fille semble reconnaître et entendre le malaise d’Adam. Quelque part leurs êtres étudiants se rencontrent et même s’il s’avère impossible de mettre un diagnostique, dans le roman, on a une illustration de ce que c’est que d’être à la fac à cette époque-là.

Par son cours, Compagnon nous conduit à y réfléchir. Après Le Clézio, il y a le roman de la rentrée 1965, Les choses de Perec et son personnage étudiant en vacances. De quoi imaginer le mal-être des jeunes, peu importe que c’est pendant les études ou à la plage..

09/02/2011

ms. jane mcadam freud, sculptor

the great-granddaughter of Sigmund Freud...  daughter of the British painter Lucien Freud.

Jane McAdam Freud, with 2010 sculpture Stone Speak
(The Wall Street Jounal, Jan. 13, 2011)

08/02/2011

the sleighs of old montreal

In the 1920s and 1930s, Montreal was an important sleigh centre of the world. There were at least 50 cm of snowfall in a winter and snow was not always removed from the streets but simply ploughed to the sides. Going though the children’s book of Carlo Italiano, The Sleighs of Old Montreal, I try to imagine the time when there weren’t many automobiles in the city and the young narrator could tell what sleigh was coming to his home or passing near it by the sound of its bells.


In the Montreal of the 20s and 30s, there were quite many different sleighs, tinkling and jingling to the joy of the children. Public transportation was mostly by streetcar and sleigh drivers had to be careful not to let their runners get caught in streetcar-track rails. The World War II arrived and slowly trucks started replacing sleighs, but still a few sleighs were to be seen in the late 1940s, like the ones owned by the milkman, the breadman and the local grocer.

For Carlo Italiano, some of the most popular sleighs were :

- the chip wagon

- the fruit pedlar

- the knife sharpener

- the milk sleigh

- the royal mail sleigh

- the baked bean sleigh

- the movers sleigh…

Italiano has a good hand at drawing and the descriptions for each image are witty and sometimes comical. A short note at the end of the story tells us that “he was born in 1920 on a small street in Old Montreal that was ideal for sleigh watching and started drawing sleighs and horses as soon as he could hold a pencil”.

Carlo Italiano grew up to become one of Canada’s most popular illustrators.

07/02/2011

leo castelli et les siens

À l’occasion de la traduction en anglais de la biographie Leo Castelli et les siens (Leo & His Circle. The Life of Leo Castelli, Random House/Knopf), Annie Cohen-Solal invitée à Art Gallery of Ontario, retrace le parcours fascinant de l’un des plus grands galeristes de notre temps, arrivé aux Etats-Unis en 1941.

Leo Castelli (1907-1999) a régné sur l’art contemporain international pendant plus de quarante ans, au point de bouleverser toutes les règles. Après avoir vécu dans des grandes villes d’Europe – Trieste, Vienne, Milan, Budapest, Bucarest et Paris – aux prises avec la guerre et les moments forts du siècle, ce bourgeois singulier rejoint les Etats-Unis où il ouvre sa propre galerie en 1957, à l'âge de cinquante ans. Fasciné par les artistes américains des années soixante : Jasper Johns, Frank Stella, Robert Rauschenberg, Andy Warhol – et les mouvements esthétiques : le pop art, l’art minimal, l’art conceptuel, sa galerie invente une forme inédite de globalisation du marché de l’art et devient un lieu connu, incontournable pour artistes et mécènes.

Le livre de Cohen-Solal composé de trois grands volets se lit comme un attachant essai historique qui met en lumière le destin de l’Europe de 1907 à 1945 : des persécutions, guerres, ruptures, déplacements et dispersions des communautés juives dont la famille Krausz-Castelli fit partie ; puis New York. Années de métamorphose. 1945-1956, moment de la révolution hongroise ; pour finir avec un troisième volet : Leader absolu de l’art contemporain 1957-1999 et l’inscription de Leo Castelli dans l’histoire de l’art.


C’est grâce à de nombreux entretiens réalisés dans le monde entier et à des documents inédits, que l’auteure nous porte d’Italie en Hongrie, en Roumanie, en France et aux Etats-Unis, pour nous faire part de l’histoire fascinante du galeriste Castelli, occasion de remonter aussi le fil du temps à ses ancêtres, des commerçants qui travaillaient auprès des Médicis dans la Toscane de la Renaissance.

Belle invitation à découvrir toute une tradition, une culture européenne et plus tard américaine, dont celle de Leo Castelli ne peut être séparée. 

02/02/2011

perfectionnisme et recherche

Il n’est pas rare que dans Affaires universitaires, on tombe sur un article qui nous parle, qui met le doigt sur une pensée flottante qu'on tentait peut-être d’élucider. C'est ainsi que je lis l’article du numéro de février, « Le perfectionnisme nuirait à la productivité en matière de recherche » par Léo Charbonneau, qui dit : selon une étude récente effectuée par Simon Sherry, professeur de psychologie à l’Université Dalhousie, le penchant au perfectionnisme serait un comportement autodestructeur qui ferait des dommages à la carrière d’un professeur. Pourquoi ? Nous en avons déjà idée : les perfectionnistes ont tendance à vouloir accomplir les tâches à la perfection ou à laisser tomber comme s’ils étaient intimidés ou effrayés par la moindre faute. Ceux-ci ne sont satisfaits que si la tâche  a été parfaitement bouclée. Durs contre eux-mêmes, ils aspirent à réussir sans faille en ignorant dans la foulée que la faille, la faillite et l’erreur font partie de notre être humain.

Dans son étude sur le perfectionnisme et la recherche, Simon Sherry et son équipe ont échangé avec 10.000 professeurs du Canada et des États-Unis, parmi lesquels 1258 ont complété un sondage en ligne. Les résultats montrent que plus les sujets sont perfectionnistes, moins ils font publier des articles et des livres. Et il n’est pas étonnant d’apprendre que ces personnes hyper-scrupuleuses sont réticentes à aller chercher de l’aide thérapeutique. S'ils le font, ils se retrouvent dans plusieurs cas à « inconsciemment saboter les étapes du traitement par  des attentes irréalistes ». Or, il n’est pas surprenant non plus qu’on nous rappelle ici que le perfectionnisme est relié à la dépression, à des troubles d’alimentation : anorexie, boulimie, frénésie de trop manger.. De quoi s’interroger et examiner ça et là des habitudes de travail.