24/10/2010

promesse Gary

« C’est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure couché sur le sable, à l’endroit même où je suis tombé. La brume marine adoucit les choses ; à l’horizon, pas un mât ; sur un rocher, devant moi, des milliers d’oiseaux ; sur un autre, une famille de phoques : le père émerge inlassablement des flots, un poisson dans la gueule, luisant et dévoué. Les hirondelles de mer atterrissent parfois si près, que je retiens mon souffle et que mon vieux besoin s’éveille et remue en moi : encore un peu, et elles vont se poser sur mon visage, se blottir dans mon cou et dans mes bras, me recouvrir tout entier…. A quarante-quatre ans, j’en suis encore à rêver de quelque tendresse essentielle. Il y a si longtemps que je suis étendu sans bouger sur la plage que les pélicans et les cormorans ont fini par former un cercle autour de moi et, tout à l’heure, un phoque s’est laissé porter par les vagues jusqu’à mes pieds. Il est resté là, un long moment, à me regarder, dressé sur ses nageoires, et puis il est retourné à l’Océan. Je lui ai souri, mais il est resté là, grave et un peu triste, comme s’il savait ». (Romain Gary, La promesse de l’aube, p. 13)

Ces lignes en ouverture de La promesse de l’aube laissent rêveur. Elles font penser à l’homme Gary et à son œuvre. A imaginer le phoque porté par les vagues, on se demande : qu’est-ce qu’il savait ? Pouvait-il savoir ? Comment ?

La plage de Big Sur (sur la côte de la Californie)












C’est la question que pose cette semaine Raphaël Enthoven sur France Culture dans Les nouveaux chemins de la connaissance, dans une série de cinq émissions qui parlent de Gary. Ecrivains, critiques, journalistes invités semblent s’accorder qu’il est souvent infranchissable, le gouffre qui sépare un être drôle, aimant la vie, de ceux qui le regardent ou le lisent, et il faudrait mille et mille mots pour raconter l’étendue de l’effarement : parler de cette béance, de la fragilité bouleversante d’un être seul malgré la compagnie, parler encore de l’être multiple, de l’ambiguïté et du mensonge ; raconter l’insondable mystère de l’humain, dire que l’on est dissemblable de l’image qui s’imprime sur les rétines des gens, voici où s’entament les dialogues.

L’étrange avec Gary, c’est que l’homme et l’œuvre sont caméléoniques ; la métaphore du caméléon qui crève sur le plaid écossais, cette histoire qui apparaît si souvent dans ses livres est la métaphore de sa vie même, cette vie qu’il n’a eue de cesse de réparer et de renouveler dans la littérature, mais qui un jour en décembre 1980, se coupa dans un troublant suicide.  Mille et mille mots nous manquent pour savoir qui fut vraiment Gary l’écrivain et l’homme. Ses textes s’étalent là comme un grand livre des secrets, fantasmes et aveux, un coffre de trésors qu’il ne faudrait pas abandonner. Son écriture dit la lutte ardue de quelqu’un qui aima la vie, qui eut de grands moments d’espoir et d’anticipation, mais aussi de vide sidéral.

A écouter Enthoven et ses invités, on a envie de redécouvrir Gary, de lire, d’entendre et peut-être de saisir un peu plus le narrateur, le personnage, l’auteur qui à la fin de La promesse de l’aube prononce « j’ai vécu », tandis que sur la même plage du début : « Les phoques se sont tus sur les rochers, et je reste là, les yeux fermés, en souriant, et je m’imagine que l’un d'eux va s’approcher tout doucement de moi et que je vais soudain sentir contre ma joue ou dans le creux de l’épaule un museau affectueux » (p. 391).

Le début rencontre la fin, serpent qui mord sa queue. Encore et encore, dans des mots poétiques, Gary nous fait passer ce message troublant : il n’y a pas assez d’amour ; il y a de la place pour aimer ; on n’a pas assez aimé..

1 commentaire:

  1. "C'est fini" en première phrase c'est l'alliance des opposés chère à Gary. Ce plaisir de concilier des opposés est visible quand il écrit "promesse de l'aube" ou "racines du ciel".

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