04/01/2011

pensées de nouvel an

Je ne crois pas être la seule à penser le début de l’année comme un commencement tout frais. Le jour de l’an se fait prétexte pour renouveler des rêves, imaginer des projets, tisser des rituels de vie et de travail. C’est peut-être aussi la promesse silencieuse de porter les paradoxes de la réalité comme quelque chose de tonique.

En feuilletant le dernier numéro de la revue Dialogue francophones (no16, décembre 2010), deux interviews avec des écrivaines, Catherine Mavrikakis et Angela Cozea, semblent faire écho à ces pensées de nouvel an. En parlant de l’écriture de fiction par rapport à l’essai et au texte théorique, les deux auteures invoquent la non-maîtrise, la possibilité de l’accident, de l’imprévu qui vous surprend à l’instar d’un début d'histoire, d'une première. Si l’écriture théorique inscrit un point de vue et apparaît plus monolithique, la fiction est la zone de l’inconnu, de la représentation de la réalité psychique, du rêve qui prolonge le réel. C’est ce côté de puissance magique qu’exerce la fiction qui m'a attirée dans les paroles des écrivaines. 


Il y a aussi l’écriture de soi qui me plaît chez Mavrikakis et Cozea. Dans Le Ciel de Bay City (2009) et dans Interruptions définitives (2008), chaque écrivaine semble donner voix à des personnages proches de la biographie, hantés par ceux qui ne sont plus. Chez Mavrikakis, l’héroïne refuse de faire le deuil des morts qui ont jonché sa vie et celle de sa famille. Pour Cozea, il s’agit d’une jeune fille, Angela, indéfectiblement marquée par le passé qui ne passe pas. La ligne de sa vie est prise à jamais dans un attachement douloureux avec des personnes, des lieux et des paysages désormais perdus. La mélancolie devient ainsi un mode d’être, une sorte de rempart contre des souvenirs qui effleurent avec  une force effrayante. 

Se poursuit dans les témoignages des écrivaines quelque chose de l’ordre d’un vœu pour l’avenir qui fait penser aux résolutions qu’on a coutume de faire au nouvel an. Cela se lit chez elles tel un désir de pouvoir écrire, d'avoir la force d’imaginer et de penser qu’il y aura à l’autre bout du fil quelques gens pour répondre aux appels qui sont leurs livres. Angela Cozea, qui écrit Interruptions définitives à partir de son vécu dans la Roumanie communiste des années 60 jusqu’aux 80, n’oublie pas le pouvoir des souvenirs qui vous prennent parfois de plein fouet même quand on croirait qu’ils sont « éloignés ». « Prendre sur soi », dit-elle, « se croire plus forte que l’on ne peut être en réalité, tout subir, on peut dire qu’il y a là les traces, les cicatrices des souvenirs qu’on appelle éloignés ». Chemin faisant, il s’avère que ces traces sont fondatrices d’une manière d’être et de raconter. L’écriture apparaît alors comme une résistance, une manière de « repousser les assauts des regrets pour la rage avalée au moment où aucune justice n’était là pour vous protéger ». S'ensuit cette autre question signifiante : écrire pour qui ? Dans les mots de Cozea, se donne à lire une solidarité qu’on aimerait peut-être partager un jour autour d’un texte ou d’une parole : « écrire pour des personnes qui ont vécu au même moment des choses apparentées, et pour leurs enfants, qui sont aujourd’hui de mes étudiants ».

Ce processus d’écriture où l’on témoigne de soi sans nécessairement imposer son témoignage à la connaissance ou à la conscience de ceux qui vous entourent, me fait aussi penser au travail de l’artiste Jean-Michel Basquiat, qui dans des toiles géantes et des couleurs stridentes, ne cesse de parler de lui-même, de ses troubles, de son existence d’enfant prodige. Le Figaro du 3 janvier consacre un article –  une vidéo plutôt – à l’exposition Bosquiat qui se déroule en ce moment au Musée de l’art moderne de la ville de Paris. Les commissaires de l'événement se disent contents du succès de l'exposition. L’immense diversité des toiles du peintre haïtien de New York (1960-1988) qui en une dizaine d’années de carrière réalise environ 1000 tableaux et 2000 dessins, parle aux jeunes ainsi qu'aux adultes. L'artiste s’éteint à 28 ans d’une overdose, mais sa passion pour le travail, le mélange sophistiqué de peinture et de dessin, de violence et de chaleur, qui se dégage de ses œuvres, continue de nous appeler et de nous faire penser. 

J’aime croire que de tels parcours d’artistes et d’écrivains, fulgurants et attachants, disent quelque chose de vrai sur notre pouvoir de nous abandonner à l’art, aux mots, aux rêves. Reste en filigrane cette question toujours présente : l’amour. Romain Gary, à la fin de son troublant roman La vie devant soi, le reconnaît avec justesse : « on ne peut pas vivre sans aimer…. Il faut aimer ». Car après tout,  pouvoir trouver un point de passion, des choses passionnantes, c'est peut-être ce qui rend l'existence supportable, ouverte à une certaine création. 


Disons que c'est l'espoir à renouveler avec l'année..

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