Je m’aperçois en ouvrant les yeux
que le rêve est trop fragile, qu’il se dissipe avec une vitesse inouïe dans la
lumière qui baigne la pièce, que même avec un effort de concentration, je
n’arriverai pas à reconstituer les mots que tu m’as dits.
Le texte m’échappe. Je le sens
glisser. Sécrétions de pittoresque, épanchements. Nostalgies de deux sous.
Illusions de l’enracinement. Ce personnage qui me parle la nuit encore une fois
m’échappe. Je finis par me laisser prendre à son histoire. Je finis par vouloir
un brin d’ordre, de logique, de patience dans mes épreuves au travail. Vivre à
petits pas, à petits feux. Le temps à se traîner jour après jour. Les courses à
faire. Magasiner. Les cours à enseigner. Encourager, si ce n’est que pousser des
jeunes filles à lire tel ou tel écrivain. Enfilement de gestes, miettes de vie,
de vide, de ville. Je finis par avoir la nostalgie du récit. Où la mener ? Elle
ne peut tout de même pas habiter le downtown
de Winnipeg, et à la fois, Toronto, Buenos Aires... La promener longtemps ainsi
dans des villes aux soirs chagrins, aux ombres resserrées, aux fantasmes futiles
? Restera l’exil, l’éternel sentiment d’être ailleurs, déracinée. Winnipeg ou Buenos
Aires, Toronto… Les villes se cherchent et se répondent dans la nuit. Parfois
elles se ressemblent. Quelle importance ! Quelque part dans l’imaginaire d’une
fille.
Un bout de ce rêve m’est revenu, un
brin de voix, la sonorité de tes phrases. Un matin, je recevrais une lettre
d’outre-tombe, une lettre sans nom à l’expéditeur ; d’un messager, un anonyme. Je
lirais : « Si tu entends le vent des
prairies et si l’eau du Bug s’agite avec véhémence, si les bouleaux hurlent
sous la tempête, sache que c’est moi qui pleure sur notre siècle, sur notre
échec, sur nos jeunesses gaspillées. Mais vois-tu, je pleure plus sur vous, sur
ceux qui restent, et quand je vois la façon dont les choses tournent… ».
De ta place, là où tu avais été placé..e, du fond de ta tombe, m’aurais-tu écrit
?
photo credit - Siméon Rusnak
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