Tu dis avoir voulu me montrer de
l’amitié quand tu m’as proposé de te rejoindre à la soirée d’anniversaire, où
tu comptais au fond me présenter ta nouvelle petite amie, une fille arrivée
tout juste de Russie. Mesquinerie cocasse ou simplement vengeance inconsciente
?
Encore aujourd’hui, je me souviens
de tes mots : « Laisse couler les choses ». Ta voix est claire dans
le silence du petit matin. Tu voulais me parler de patience, du besoin de
lenteur, de ne pas foncer aveuglement comme je le faisais autrefois. Il me fallait rester calme, observer,
contempler, un peu comme le narrateur de Proust, qui se retirait dans un coin de la pièce et devenait souvent voyeur.
Pourtant, ce dernier temps, quand je réalise petit à petit que la Prairie est
le lieu privilégié de la lenteur, et que cette lenteur prend la forme de
l’empêchement (le froid qui vous empêche de sortir, les grandes distances qui vous empêchent de marcher à pied), je ne peux
retenir un sentiment de tristesse. Cette tristesse recouvre certes la
frustration que je ressens de me voir limiter dans mes choix de sortir, marcher, bouger… Deux ans déjà depuis que le paradoxe de la Prairie ne cesse de m’intriguer :
d’une part, l’immensité délicieuse du ciel, son ouverture bienveillante, et
d’autre part, la terre qui vous limite, qui vous confine, hostile.
Feuilletant un album d’art dans la
boutique du musée, j’ai lu que l’artiste Dominique Rey a consacré une partie de
sa recherche récente à la question de la lenteur. The art of slowness, disait le texte. L’artiste a mis ensemble un
projet sur l’art de vieillir dans la congrégation des Sœurs grises, ces braves
femmes qui ont existé au début du vingtième siècle au Manitoba, et qui existent
encore aujourd’hui en Amérique du Sud. Il s’agissait ainsi de faire penser aux
bénéfices de la lenteur : vie de contemplation, gestes attentionnés, artisanat,
jardinage, aide aux enfants… Dans ce cas, être lent(e) est synonyme de vivre
pleinement, la lenteur étant vécue comme liberté et épanouissement.
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