14/11/2011

les mains négatives

Les mains négatives. Titre qui m’interroge : négatif des mains sur la pellicule photo ou empreinte sur le sable ? Les mains négatives (1978) c’est le titre du court métrage de Marguerite Duras qui pense l’immensité des choses à partir des peintures de mains trouvées dans les grottes magdaléniennes de l’Europe. Le contour de ces mains posées grandes ouvertes sur la pierre, était rempli de couleur ; du bleu et du noir, parfois du rouge ; « du bleu de l’eau, du noir de la nuit ». Aucune explication n’a été trouvée à cette pratique.

L’écrit de Duras va permettre d’imaginer une histoire à ces mains. Sa voix est mémorable. L’espace s’élargit. 
Pour un moment, je me sépare ce que je crois que je suis.



« Devant l’océan
sous la falaise
sur la paroi de granit

ces mains

ouvertes

Bleues
Et noires

Du bleu de l’eau
Du noir de la nuit

L’homme est venu seul dans la grotte
face à l’océan
Toutes les mains ont la même taille
il était seul

L’homme seul dans la grotte a regardé
dans le bruit
dans le bruit de la mer
l’immensité des choses

Et il a crié

Toi qui es nommée toi qui es douée d’identité je
t’aime

Ces mains
du bleu de l’eau
du noir du ciel

Plates

Posées écartelées sur le granit gris

Pour que quelqu’un les ait vues

Je suis celui qui appelle
Je suis celui qui appelait qui criait il y a trente
mille ans

Je t’aime

Je crie que je veux t’aimer, je t’aime

J’aimerai quiconque entendra que je crie

Sur la terre vide resteront ces mains sur la paroi de
granit face au fracas de l’océan

Insoutenable

Personne n’entendra plus

Ne verra

Trente mille ans
Ces mains-là, noires

La réfraction de la lumière sur la mer fait frémir
la paroi de la pierre

Je suis quelqu’un je suis celui qui appelait qui
criait dans cette lumière blanche

Le désir
le mot n’est pas encore inventé

Il a regardé l’immensité des choses dans le fracas
des vagues, l’immensité de sa force

et puis il a crié

Au-dessus de lui les forêts d’Europe,
sans fin

Il se tient au centre de la pierre
des couloirs
des voies de pierre
de toutes parts

Toi qui es nommée toi qui es douée d’identité je
t’aime d’un amour indéfini

Il fallait descendre la falaise
vaincre la peur
Le vent souffle du continent il repousse
l’océan
Les vagues luttent contre le vent
Elles avancent
ralenties par sa force
et patiemment parviennent
à la paroi

Tout s’écrase

Je t’aime plus loin que toi
J’aimerais quiconque entendra que je crie que je
t’aime

Trente mille ans

J’appelle

J’appelle celui qui me répondra

Je veux t’aimer je t’aime

Depuis trente mille ans je crie devant la mer le
Spectre blanc

Je suis celui qui criait qu’il t’aimait, toi ». (Les mains négatives)

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