19/12/2011

entre deux mondes

La tristesse nous laisse entre deux mondes, ni indifférence ni désespoir, elle est une promenade au bord d’une rivière profonde, mais avec élégance, sans percevoir le danger, les yeux dans la fracture du ciel, la douceur du vent, le contour des nuages. La tristesse n’a pas d’épaisseur propre, par de frontière, elle délimite un espace intérieur flou, déraisonnable, où l’on reste au bord des larmes avec en même temps un étrange apaisement. La tristesse peut submerger, mais elle apaise aussi. Elle enveloppe le corps dans un tissu cotonneux d’étrangeté à soi-même, comme un chagrin d’amour dont on aurait subitement perdu le sens, mais pas la nostalgie.

À quoi sert-elle, la tristesse ? Ni crise de colère, ni soulagement, elle a une douceur qui inquiète ; elle est féconde, mais pas de manière organisée, stable. Elle a une force de déliaison subtile qui fait surface dans des pensées éparses, dans des sensations étranges, légèrement écœurantes. Quelque chose se transforme lentement en soi, une vision fulgurante, une pensée autre ; une fenêtre de ciel bleu  que l’on verrait se distinguer à l’horizon, puis disparaître. Un jour, on pourra transcrire cela sans peine, telle une évidence.

Dans la peinture d’Edvard Munch (1863-1944) – l’exposition L’œil moderne à Beaubourg – j’ai cru apercevoir cette « évidence » : la tristesse ; quelque chose de l’ordre d’une ligne de force qui espace le drame en paysage, en silhouette humaine, en autoportrait ; une tristesse qui dissémine la douleur en plusieurs points du corps et de l’âme. Devant les quelques reproductions de la toile Le Baiser, devant des autoportraits que Munch avait pris l’habitude de peindre chaque année vers la fin de sa vie, pour « observer » son vieillissement, comment ne pas noter que la touche de tristesse ne nous appartient pas ? Qu’elle est un espace plus vaste, qu’elle n’arrive pas tout à fait à fondre en nous. C’est cet écart, cet « entre-deux », qui nous attache à elle… Mais le moment où cela s’est dépris de vous, lui, il est insaisissable. Un jour, la tristesse vous a quitté, c’est tout. Et vous écrivez, vous peignez, vous aimez, vous vous endormez léger ; la tristesse vous aura laissé libre, mais différent.  

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