Jamais tu n’as imaginé que tu
vivrais un jour à Winnipeg. Toute jeune, tu te faisais mille projets, à
dix-sept ans, à dix-huit ans, quand on commence à se demander comment ce sera
plus tard, quelles études on fera, quel homme on rencontrera, si l’on aura des
enfants, si l’on vivra dans une ville intéressante ou plate.. À seize ans, tu
as imaginé que tu serais comédienne. Tu as commencé à jouer dans la troupe du
lycée, t’es brouillée avec ton père qui ne se remettait pas de ton audace
d’avoir contredit le projet de vie qu’il avait prévu pour toi : que tu
ailles à l’école de droit. À vingt ans, sous le coup de la colère, tu as
annoncé une première fois que tu allais te marier, une seconde fois, à
vingt-quatre ans. Il n’y a pas si longtemps de là. Tu as toujours voulu faire
du théâtre, devenir actrice comme Ada, enfin pas tout de même comme Ada, mais
te glisser dans la peau de personnages singuliers, dans des textes singuliers,
de préférence en français, parfois des classique, n’oublie pas, et un peu de
Bernard Shaw aussi. Tel est le rêve. Il a perdu de son éclat. Aurais-tu envie
de le ranimer peut-être un jour ? S’il a de l’importance à ce
moment-là, car à l’heure, il n’en a aucune.
Hier, assise devant l’écran de
l’ordinateur, une tasse de café à la main, tu t’es mise à inventer une histoire
autour de ce vidéoclip qu’une amie t’avait envoyé par mail ; un vidéoclip
intitulé ‘The Grounds for Violence’,
au sujet de l’hiver redoutable à Winnipeg cette année, bien entendu. Collage
réussi d’images sur la chanson inoubliable de Simon and Garfunkel, ‘The Sound of Silence’, dans lequel ‘Bartley Kives captures the sullen attitude of Winnipeggers toward the
neverending winter with this take on Simon and Garfunkel’s The Sound of
Silence’. Ce n’est pas la première fois que tu penses à la créativité des
gens d’ici : ils savent faire de la bonne musique, du film, du théâtre de
qualité, pour ne pas évoquer les artistes visuels… peintres, photographes,
sculpteurs, performeurs qui se dépassent les uns les autres en sujets originaux
et imaginaire décapant. Qui ne remarque que tous ces gens dans les domaines des
arts œuvrent pour atteindre quelque chose d’autre au-delà de l’âpreté de
l’hiver ? Ce serait l’urgence du désir de contrecarrer l’hostilité
environnante.
Dans tous les cas, vous n’aurez pas tort de penser qu’à Winnipeg,
vous croisez souvent des hommes et des femmes qui ont envie de réveiller la création, d’ouvrir la mémoire
vécue et culturelle, comme s'ils tentaient inlassablement de poser un rempart contre la crise existentielle, la laideur, la platitude... Après
tout, « l’exception » winnipegoise tenue par le négatif (froid,
isolement, hostilités de toutes sortes) peut se retrouver pas mal de fois retournée.
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