10/03/2011

le boléro

Je serais encore restée là sous la pluie qui tombait de plus belle sur mon parapluie à imaginer le tam-tam du Boléro de Ravel tel que le décrit Le Clézio à la fin de Ritournelle de la faim :

« Les dernières mesures du Boléro sont tendues, violentes, presque insupportables. Cela monte, emplit la salle, maintenant le public tout entier est debout, regarde la scène où les danseurs tourbillonnent, accélèrent leur mouvement. Des gens crient, leurs voix sont couvertes par les coups de tam-tam. Isa Rubinstein, les danseurs sont des pantins, emportés par la folie. Les flûtes, les clarinettes, les cors, les trompettes, les saxos, les violons, les tambours, les cymbales, les timbales, tous sont ployés, tendus à se rompre, à s’étrangler, à briser leurs cordes et leurs voix, à briser l’égoïste silence du monde.

(…) Le Boléro n’est pas une pièce musicale comme les autres. Il est une prophétie. Il raconte l’histoire d’une colère, d’une faim ». (p. 206)

La première image qui m’est apparue est celle de la colère rythmée que l’orchestre faisait monter aux cieux, un peu comme ce matin le ciel envoyait de la colère par une pluie incessante. Pour Le Clézio, le Boléro est une ouverture vers autre chose : une musique qui « avait changé la vie » de sa mère et d’une génération après la Seconde guerre ; c’est le cri de la violence après lequel le silence devient possible même si pour les survivants étourdis, il est terrible. Que j’aie profité de la pluie pour rêvasser et être ailleurs, c’est ma petite ruse quand la routine écrase. Que la pluie torrentielle m’apparaisse ennuyante, je n'y peux rien. Mais le point troublant, retrospectivement, c’est que la littérature, sans conteste, soutient ; elle est le secours le plus complexe, le plus excitant, le plus en relief de toutes les formes d’art. Quand on est dans un texte, la pluie la plus agressive existe à peine ; elle est musique. La pensée est à méditer : pour prendre du répit du train-train quotidien, du tam-tam d’une heure, on n’est jamais mieux servi que par une bonne page à laquelle nul n’ira nous identifier.



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