Anniversaires,
commémorations, ces images de la une des journaux en France ces jours-ci – 50 ans de la mort d’Albert Camus, 16e anniversaire de la
disparition de François Mitterand... – me font soudain me demander si dans ma vie,
il y a des événements que je pourrais qualifier de décisifs ; certains
moments se sont rétrospectivement chargés d’un sens si lourd qu’ils émergent de
mon passé avec l’éclat des grands événements. Assez récemment, je me rappelle
mon arrivée à Winnipeg comme si elle avait marqué un tournant absolument
incompréhensible dans mon histoire.
J’avais laissé ma
valise à l’accueil, et me suis pressée vers l’ascenseur.
« Winnipeg », me dis-je. Sous le ciel bleu, l’horizon indéfini, des
trous d’ombre, des érables couleur d’automne ; au loin, des gratte-ciels
et une avenue sans fin ; une rumeur montait de la ville avec une odeur de
chaleur humide, et des voitures passaient et s’arrêtaient au carrefour.
Winnipeg. J’étais là, seule, les mains vides, séparée de mon passé et de tout
ce que je croyais aimer, et je regardais la grande cité inconnue où j’allais
devoir tailler au jour le jour ma vie. Ici, je n’existais pour personne ; quelque
part, sous un de ces toits, j’aurais à faire huit heures de cours chaque
semaine. Rien d’autre n’était prévu pour moi, sauf l’appartement que j’avais
loué à l’avance ; mes habitudes, mes occupations, mes plaisirs, c’était à
moi de les inventer. Je pris l’ascenseur qui montait lentement comme s’il s’arrêtait à chaque étage ; comme si moi, je m’arrêtais à chaque étage jusqu’au 13e,
bouleversée par ces avenues, ces maisons, ces trottoirs qui peu à peu allaient
se révéler à moi et me révéler à moi-même.
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