Dominique Noguez, dans Duras, Marguerite, raconte une de ses
rencontres avec l’écrivaine : « Je
me souviens (…) d’un de nos premiers déjeuners, avec Marcel Mazé sans doute,
dans les environs de Toulon. Elle se mit à parler personnellement au
serveur. ‘Nous nous sommes déjà vus, n’est-ce pas ? Où était-ce ?’
Lui, sincère ou malin, ne la démentit pas et entra avec elle, plat après plat,
dans le jeu des hypothèses successives et successivement écartées. Si je ne m’abuse,
il s’avéra à la fin du repas qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés ».
Cette entrée en matière, celle du souvenir
d’une des rencontres de Noguez avec Duras, peut à mon avis illustrer ce qu’est la
rencontre durassienne : rencontre entre les êtres, entre la réalité et la
fiction, entre le monde et le silence, entre le passé et le présent ;
toujours en filigrane, une ambiguïté. Car la rencontre durassienne a lieu sous le signe de la réminiscence, elle apparaît dans un sentiment de
« déjà vu » et va rappeler le passé en le posant comme une
succession de potentialités, de conditionnels : « Nous nous serions aimés, là encore, puis nous nous serions
perdus de vue, mais nous revoilà ». Le jeu des hypothèses s’entame et
le présent se déplie en citation du passé, et donc c’est une reconnaissance ; mais plus encore, « une fausse reconnaissance » qui permet d’enchaîner
une certaine trame de la fabulation. Les deux êtres en présence sentent qu’ils
sont vécu, vu, entendu, fait quelque chose qui, au fond, est en train de se
produire pour la première fois. L’aspect double de la rencontre, sa doublure,
garantit au réel de l’instant sa force et lui donne une intensité. Cela paraît
banal, mais pour faire surgir le présent, on devrait pouvoir le tisser au
passé : un passé imaginé et mis en scène dans diverses images et divers
possibles du temps.
En ce sens, je me retrouve parfois saisie
par une impression d’inauthentique lors d’une rencontre. Elle m’apparaît comme répétition ;
le présent ne m’appartient alors qu’en tant que citation, que renvoi à un
passé, dans une dépossession qui me fait dire que « cela a déjà
eu lieu ». Finalement, avec Duras, je me rends compte que la rencontre en
tant que répétition est une origine qui n’a peut-être jamais existé.
De quoi penser que l’instant présent déguisé en « qui a déjà été »
peut se dupliquer en jadis imaginaire, en autrefois
fictif, mais afin d'appuyer l’épaisseur d’une autre possibilité du présent.
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