« Le temps ne passe pas à
Winnipeg ; il gèle ». Cette phrase est sortie de sa bouche
inopinément, un mot presque drôle, rempli de sagesse … ou du moins, une
expression qui m’a semblé juste, très juste, pour quelqu’un qui était en train
de dire qu’il fait un froid de canard à Winnipeg, que les températures
s’acharnent un peu trop autour de -20, et depuis assez longtemps déjà. C’était
bien dit, simplement ; bien choisi comme formule, et d’avoir fait une brève divagation sur la météo nous a aidés à presser le pas pour arriver un peu plus vite au chaud. Disons qu'on pouvait désormais parler à l’aise de l’expo sur l’art inuit qu’on
venait de visiter au Musée des beaux-arts ; expo intéressante et originale
en son genre, la première au Canada et dans le monde, je crois, qui fait
découvrir environ 120 sculptures et objets d’art créés par des artistes inuits à partir des années 1940 jusqu’à aujourd’hui.
Mais c’est d’autre chose que je voulais
parler ici. De la manière assez singulière qu’on a parfois à faire des
analogies : comme par exemple, ci-dessus, entre le froid et la fixation,
le gel du temps ; ou encore, comme dans les passages qui suivent, dans
l’entrevue de Marguerite Duras que j’évoquais récemment, où elle fait des
parallèles inattendus entre littérature et risque, littérature et goût de l’interdit.. ;
ou pense qu'il y a des distinctions (justifiées) entre désir et jouissante, amour et érotisme…
Voici deux extraits de la Passion suspendue. Entretiens avec
Leopoldina Pallotta della Torre (traduction de l’italien par René de
Ceccatty), publiés dans le numéro de février du magazine littéraire Lire.
« Quelle
est selon vous la tâche de la littérature ?
De représenter l’interdit. De dire ce que
l’on ne dit pas normalement. La littérature doit
être scandaleuse : toutes les activités de l’esprit, aujourd’hui, doivent
avoir affaire au risque, à l’aventure. Le poète même est en soi ce risque même,
quelqu’un qui, contrairement à nous ne se défend pas la vie.
Regardez Rimbaud, Verlaine… Mais Verlaine
ne vient qu’après. Le plus grand reste Baudelaire : il lui a suffit de
vingt poèmes pour atteindre l’éternité ».
« Le
thème de l’amour renvoie à un autre, celui de l’incommunicabilité entre les
sexes. Vos personnages s’aiment et luttent, constamment, pour échouer
définitivement.
Ce n’est pas le sexe – ce que les gens
sont dans un espèce de décoloration sensuelle – qui m’intéresse. C’est ce qui
se trouve à l’origine de l’érotisme, le désir. Ce qu’on ne peut, peut-être
qu’on ne doit pas, apaiser avec le sexe. Le désir est une activité latente et
en cela il ressemble à l’écriture : on désire comme on écrit, toujours.
D’ailleurs, quand je suis en passe
d’écrire, je me sens plus envahie par l’écriture que quand je le fais vraiment.
Entre désir et jouissance, il y a la même différence qu’entre le chaos primitif
de l’écrit – total, illisible – et le résultat final de ce qui, sur la page,
s’allège, s’éclaire.
Le chaos est dans le désir. La jouissance
n’est que cette infime part de ce que nous sommes parvenus à atteindre. Le
reste, l’énormité de ce que nous désirons, reste là, perdu à jamais »
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