Depuis un
moment, j’avais tenté de saisir les sens du mot « penser ». Je me
disais que penser, ce n'est pas juste mettre des mots sur les choses ou les
événements, pour leur créer un espace au-delà d'eux-mêmes (même si ce n'est
déjà pas rien, car si ces pensées ne sont pas exprimées, elles tournent en
rond, immanquablement, et deviennent des images de soi et de sa vie qu'on
ressasse – et il se trouve que ceux qui n'ont pas cette capacité d’imager par
des mots, ce que certains appellent penser, ont une fâcheuse propension aux
passages à l'acte, parfois dans l’après-coup).
Penser,
est-ce sérier les faits et les choses autrement qu'on ne vous a appris à le faire
par les discours des autres, par lesquels on est forcément passés lorsqu'on a
été accueillis dans les liens sociaux institués ? Peut-être oui, et cela
demande du travail, des connaissances, de l'intelligence, et la capacité de se
désidentifier. Dans un de ses livres, Pontalis parle avec tendresse des différentes
périodes de sa vie : celle d'enfant timide, d’élève de Sartre, puis de
proche et de disciple de Merleau-Ponty etc.., et des discours qui passaient par
sa bouche « en première personne », qu'il « pensait
penser », qu'il « pensait vraiment », et dont il n'a commencé à
comprendre d'où ils lui venaient, et par identification à qui et à quoi il les
énonçait, que lorsqu'il s'est mis sérieusement à élaborer sa pensée de la
philosophie du sujet, et qu’il est passé par une cure psychanalytique (avec
Lacan). Une pensée a pris forme au cours des décennies suivantes, et là on peut
parler d'une « pensée », et même tout à fait novatrice.
Il y a
quelque chose à retenir dans cette histoire : que la pensée nait, comme
possibilité de se désidentifier de ce avec quoi on a été un temps
identifié ; il s’agirait de prise et déprise, c'est un mouvement. Or, il y
a un niveau de notre être où cette action de penser – hors identifications – se
fait en quelque sorte sans nous, sans que le travail conscient de
désidentification, d'acquisition de connaissances, de réflexion l'accompagne :
c'est dans le rêve. Le rêve pour Freud est réalisation de désirs ; il
l'est parfois. Mais surtout, le rêve semble surgir pour penser notre vie (si on
y prête attention), pour nous donner de nos nouvelles - et bien souvent, des
nouvelles des autres qui nous entourent, dont nous savons bien plus de choses
que nous ne savons en savoir. Lacan a eu l’idée cocasse de faire de ce sujet de
l'inconscient (celui qui s'exprime dans les rêves), le « vrai »
sujet. On se demande pourquoi ce sujet-là serait plus « vrai » que
l'autre, celui qui éveillé est aux commandes de nos journées… ?
De quoi
continuer de penser, et trouver peut-être de nouveaux sens de
« l’entre-deux » : entre deux réalités, deux états d’âme ;
entre rêve et état de veille.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire