09/02/2013

edmund alleyn ou le détachement


Edmund Alleyn ou le détachement. Un texte de Nancy Huston sur les lavis du peintre Edmund Alleyn ; album paru en 2011 (Lémeac).

« Edmund Alleyn (Québec, 1931-Montréal, 2004) étudie à l’École des beaux-arts de Québec. Lauréat du Prix de la province du Québec en 1955, il part la même année s’installer en France, où il participe au mouvement de la Figuration narrative alors qu’il est de toutes les manifestations d’importance (Salon des réalités nouvelles, Biennale de Paris, Mythologie quotidienne 1964 et Schèmes ’66 au MAMVP, Salon de mai, Science-fiction à Berne et Paris, etc). En 1971, médaillé de bronze à la Biennale de Venise, il revient vivre au Canada ». (p. 78)

Hier soir, je me suis mise à faire une recherche sur internet, quand j’ai trouvé une vidéo où Nancy Huston parlait de deux projets de 2011 : le texte sur les larvis d’Edmund Alleyn et Démons quotidiens, livre écrit à quatre mains avec l’artiste Ralph Petty, qui presque chaque matin fait des encres sur l’actualité, les rêves, le monde intérieur... Ce qui l’intéresse, disait Huston, c’est le vertige existentiel que ces deux artistes ont dû éprouver lorsqu’ils ont changé de pays et de langue. Alleyn et Smith, anglophones comme Nancy Huston, ont viré vers le français quand ils se sont installés à Paris. Les trois ont quelque chose en commun : le bilinguisme et un penchant à saisir le monde avec un certain détachement, peut-être propre à l’étranger. Huston emploie le terme « trans-fuge » pour parler d’Edmund Alleyn : elle le « voit » comme un homme qui porte en lui l’enfant, l’adolescent, le jeune homme… un être qui a traversé beaucoup de frontières mais qui reste attaché à son pays natal. La jetée du fleuve Saint-Laurent à Kamouraska, au Québec, est un motif récurrent de son oeuvre. 

De retour au Canada en 1971, pendant trois décennies, Alleyn dessine, fait des larvis en noir et blanc, cinquante d’entre eux étant réunis dans le portofolio d’Edmund Alleyn et le détachement. Dans ces larvis, pas d’être humain, sinon une série de représentations de singes, de quoi rappeler notre part d'animalité... En revanche, les toiles sont peuplées d’objets, de meubles, de collages, où on distingue parfois un portrait de Freud ou de Proust… L’ambiance en est mélancolique, suspendue dans un hors-temps, lorsque les topos du flottement et du miroitement semblent prédominants. 

Plus je tournais les pages, plus j’avais l’impression de descendre dans cet état de vacillement propice à la pensée et à l’imaginaire, qui a dû habiter Edmund Alleyn lorsqu’il travaillait sur ces projets.

À la fin de l'album, sur la quatrième de couverture, on lit un bref dialogue inventé par Nancy Huston entre Edmund Alleyn et sa petite fille :

« Mais tu fais quoi ? 
Je travaille.
Mais c’est quoi, ton travail ?
Mon travail, c’est de peindre, c’est-à-dire de capter…
ou d’essayer de capter…un peu de… cela.
Cette beauté… qui aurait pu être… si nous avions su…. »

Par-delà la tendresse du lien père-fille, ces mots en disent long sur l’impossibilité du langage à traduire l’art. L’art parle pour lui-même, dit-on. Alleyn ne contredit pas le dicton.

Pourtant, le texte de Huston est poignant, car il raconte l’histoire du peintre comme si c’était un personnage de fiction, et que sa vie faisait la trame d'un roman. L'écrivaine n’a pas connu Edmund Alleyn de son vivant, mais en la lisant, on est convaincu qu’elle est entrée dans l’univers du peintre, qu'elle le « connaît » par la sensibilité et la justesse des mots. Ce qu’elle nous livre ici n’est pas une simple biographie, soit un récit qui contextualise les larvis, mais un coup de cœur : le récit d’une écrivaine séduite par l’imaginaire d’un peintre. 

Edmund Alleyn aurait peut-être aimé rencontrer Nancy Huston. Qui sait ?
Ce qui est sûr, c’est que le projet de l'album illustre la force de l’art à créer des rencontres, et aussi, la magie de la rencontre quand il s’agit de la création de l’art. 



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