18/07/2014

18 juillet


Après-midi creux de la mi-juillet au treizième étage de la bibliothèque de l’université de Toronto. Le front appuyé sur ma main gauche, les jambes en lotus sur la chaise, je lis By Grand Central Station I Sat Down and Wept, roman d’amour que l’écrivaine canadienne Patricia Smart a publié en 1945. Voilà plus d’un demi siècle que le livre est sorti, et la rencontre amoureuse dont il s’agit, semble la plus contemporaine, universelle. Une femme un homme, une journaliste un poète, une rencontre fulgurante des mots et des corps, un sourire pour ne garder de la mélancolie que la douceur. Je lis lentement les pages en anglais, c’est une langue dans laquelle je n’ai pas l’habitude de lire beaucoup, je me rappelle la merveilleuse rencontre à Seattle quand le regard tendre d’un homme merveilleux m’a soudain donné envie d’être là où j’étais, être là sans d’autre but que d’être qui j’étais sans que le désir de n’être que moi m’attriste et me transforme en glaçon ou en pierre. Je lis lentement donc, m’efforce de croire que, malgré tous les obstacles, je finirai moi aussi un jour par coucher sur papier un récit qui se tient ensemble – oui, moi Andrada Gligan alias Anka.

Le roman reflète à la fois le désespoir de Smart de ne plus être jeune et séduisante, et son refus obstiné d’endosser les vertus bien pensantes, approuvées par la société. Il dit, nonobstant les empiètements de la venue à la maturité, mais la narratrice exprime vouloir rester fidèle à ses folles ardeurs érotiques et poétiques jusqu’à ce que la mort vienne les disperser, elles aussi. Quand elle a écrit ce bref roman de quatre-vingt-dix pages, en 1944, Patricia Smart avait 31 ans, c’était pendant la guerre. J’étais loin d’être née, mais comme je suis aujourd’hui dans la trentaine, je sens « la force de l’âge » accrochée à moi avec toutes ses incertitudes et questions inachevées. Quand ma vie commencera-t-elle ? j’ai envie de demander. Est-ce pire de connaître la stabilité et de la perdre, comme Patricia Smart, ou comme moi, de ne jamais y goûter ?

Une voix de femme résonne dans le haut-parleur au treizième étage de la bibliothèque de l’Université de Toronto : the library will be closing in twenty minutes. Please bring all items to be checked out at the booths on the main floor. Je dois descendre. Il n’est pas loin de dix-huit heures ! Je n’aurai plus le temps d’arriver à temps à la classe de yoga, pis, j’ai oublié, je dois filer et retourner les deux DVDs prêtés à la bibliothèque Kelly !


Quand le silence se fait, j’allume la radio. Programme The Signal à la CBC Radio 2, voix attachante de Laurie Brown. Le visage de l’homme sur le point de me regarder tendrement me met le cœur au bord des lèvres. Quand je regarde le crépuscule éloigner l'arbre de ma fenêtre, c'est lui qui me fait sourire ; avec lui, je peux croiser mille vies.

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