24/07/2014

24 juillet


J’éternue, je couvre ma bouche, j’éternue une deuxième fois. J’ai déjeuné avec Lou, mais seulement à quatre heures de l’après-midi. Elle voulait aller à Espresso sur Bloor Street West, au coin de Saint-Georges pour manger une salade de betteraves. Lou avait la joue enflée, elle se massait les tempes et n’a presque rien mangé. Elle m’a tendu le petit livre d’une trentaine de pages qu’elle lisait, Dreaming of Elsewhere: Observations on Home d’Esi Edugyan. C’était la conférence que Edugyan avait donnée au Centre de littérature canadienne à Edmonton, dans la série Henry Kreisel Memorial Lectures. Je me suis levée pour m’asseoir près d’elle et lui prendre la main. Elle avait une petite figure, l’air fatiguée. Puis, elle a rangé le livre dans son sac au milieu d’autres livres que j’ai aperçus sans demander qu’elle me laisser regarder. Elle ne sait pas que j’ai passé une partie de la nuit et de la matinée à gribouiller dans mon carnet et que j’étais claquée à cause de ça. À moins que ce ne soit que ces derniers jours, j’ai subi le contrecoup de la lecture du livre d’Yvon Rivard, Le siècle de Jeanne, où tout me rappelait que plus jamais plus ma mère ne me lirait Hansel et Gretel, ne me ferait pleurer en corrigeant mes fautes de français, ne me pousserait à apprendre par cœur les capitales du monde, ne partirait seule pour se détendre à la montagne, ne m’apporterait des pralines les jours où elle était de bonne humeur, ne ferait avec nous (mon père et moi) des pique-niques au parc, des dîners d’été dans le jardin avec des tartes alléchantes que je n’avais pas le droit de toucher avant l’arrivée des invités. Jamais plus mes parents ne vérifieraient mes devoirs de physique, n’appelleraient la prof d’anglais pour des cours particuliers, ne me souffleraient les vers d’un poème quand au spectacle de fin d’année scolaire, j’avais soudain un trou de mémoire. Jamais plus ils ne me diraient de ne pas me croire le centre du monde, d’ouvrir les yeux et de m’instruire, pour comprendre que je n’étais qu’un atome dans le cosmos. Jamais plus ils ne me vanteraient « que je suis sage » devant leurs amis quand nous serions à la campagne et qu’il n’aurait rien d’autre à faire que de faire semblant d’avoir une conversation un verre de vin entre les mains. Jamais plus, au mois d’août, nous ne ferions du vélo, nous ne…
 
 
La sonnerie du iPhone a coupé court à ma litanie. C’était une employée de Winnipeg Symphony Orchestra qui appelait pour me convaincre de renouveler l’adhésion pour l’an prochain… you can benefit of 30% discount if you renew before August 1… Je faisais Hmm ! Hmm… je ne voulais pas lui dire que je ne serais pas en ville pour la moitié de la saison, donc je n’étais pas intéressée. J’ai raccroché. J’ai les mains tellement gelées que j’ai envie de me faire un thé et d’entourer la tasse de mes paumes. Si tu avais été là, tu m’aurais déjà dit d’aller prendre un chandail. C’est bizarre, il fait 30 degrés dehors, et j’ai froid à l’intérieur, et l’air climatisé n’est même pas en marche. Soudain, le monde semble mis entre parenthèses, mes pensées décollent de la chambre glaciale, une sorte de rêve éveillé s’empare de moi, mon cœur se met à battre plus fort, et à l’instant, une grande fenêtre baignée de soleil s’ouvre dans le miroir - je te vois jogger pieds nus sur la plage tropicale presque déserte. 



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