01/07/2011

1 Tours

La cathédrale St. Gatien de Tours, commencée vers 1250, ne fut terminée qu'au 16ème siècle ; elle déploie toutes les facettes du gothique, une façade imposante et des vitraux impressionnats. Sous la plume de Balzac dans la nouvelle « L’Eglise » (1830), elle est un véritable personnage dont la grâce porte le narrateur du désespoir, au réveil, à l’éveil neuf à la vie.


« J’étais fatigué de vivre, et, si vous m’eussiez demandé raison de mon désespoir, il m’aurait été presque impossible d’en trouver la cause, tant mon âme était devenue molle et fluide. [...] L’eau jaune de la Loire, les peupliers décharnés de ses rives, tout me disait :
– Mourir aujourd’hui,– ou mourir demain!... Il faudra toujours mourir... – Et, alors...
 J’errais en pensant à un avenir douteux, à mes espérances déchues. En proie à ces idées funèbres, j’entrai machinalement dans la sombre cathédrale de Saint-Gatien, dont les tours grises m’apparaissaient alors comme des fantômes à travers la brume.
Je regardai sans enthousiasme cette forêt de colonnes assemblées dont les chapiteaux feuillus soutiennent des arcades légères!... Labyrinthe élégant!... Je marchais, insouciant, dans les nefs latérales qui se déroulaient devant moi comme des portiques sans fin... La lumière incertaine d’un jour d’automne permettait à peine de voir, en haut des voûtes, les clefs sculptées, les nervures délicates qui dessinaient si purement les angles de mille cintres gracieux... Les orgues étaient muettes. Le bruit seul de mes pas réveillait les graves échos cachés dans les chapelles noires.
Je m’assis auprès d’un des quatre piliers qui soutiennent la grande nef, près du chœur... De là, je pouvais saisir l’ensemble de ce monument... Je le contemplais sans y attacher aucune idée, presque sans le voir ; et c’était, pour ainsi dire, par l’effet mécanique de mes yeux que j’embrassais et le dédale imposant de tous les piliers, et les roses immenses, miraculeusement attachées, – comme des réseaux, – au-dessus des portes latérales ou du grand portail, et les galeries aériennes, riches d’ogives, garnies de petites colonnes menues qui séparaient les vitraux enchâssés par des arcs, par des trèfles ou par des fleurs, – espèce de filigrane en pierre..Du côté du chœur, le dôme de verre étincelait comme s’il était bâti de pierres précieuses habilement serties... À droite et à gauche, les deux nefs profondes formaient un contraste puissant, en opposant à cette voûte, tour à tour blanche et coloriée, l’ombre noire au sein de laquelle se dessinaient faiblement des arceaux hardiment élancés et les fûts indistincts de cent colonnes grisâtres..À force de regarder ces arcades merveilleuses, ces arabesques de marbre, ces festons, ces spirales, ces fantaisies sarrasines qui s’entrelaçaient les unes dans les autres, capricieusement éclairées, tour à tour sombres et brillantes, mes perceptions devinrent confuses; et je me trouvai, comme sur la limite des illusions et de la réalité, pris dans les pièges de l’optique et presque étourdi par la multitude des aspects. [...]
Puis, au sein de cette atmosphère vaporeuse qui rendit toutes les formes indistinctes, la dentelle des roses resplendit tout à coup. Chaque nervure, chaque arête sculptée, le moindre trait devint d’argent. Le soleil alluma des feux dans tous les vitraux dont les riches couleurs scintillèrent comme des étoiles. Les colonues s’agitèrent, et leurs chapiteaux s’ébranlèrent doucement. Un tremblement caressant disloqua l’édifice, et le frises se remuèrent avec de gracieuses précautions... Il y eut de gros piliers dont les mouvements furent graves [...]. Mais il y eut aussi de petites colonnes minces et droites qui se mirent à rire et à sauter, parées de leurs couronnes de trèfles... Quelques cintres pointus se heurtèrent avec les hautes fenêtres, longues et grêles [...]. La danse de ces arcades mitrées avec ces élégantes croisées ressemblait aux luttes d’un tournoi... Enfin, bientôt chaque pierre vibra dans l’église, mais sans changer de place. Les orgues parlèrent, et me firent entendre une harmonie divine à laquelle se mêlèrent des voix d’anges. Cette musique était accompagnée par la sourde basse-taille des cloches dont les tintements annonçaient que les deux tours colossales se balançaient aussi gravement sur leurs bases carrées..Ce sabbat étrange me semblait la chose du monde la plus naturelle [...]. Quelques encensoirs répandaient une odeur douce qui pénétrait jusqu’à mon âme et la réjouissait. Les cierges flamboyaient. Le lutrin, aussi gai qu’un chantre pris de vin, sautait comme un chapeau chinois !... À force de contempler ce merveilleux spectacle, je compris que la cathé- drale tournait sur elle-même avec tant de rapidité que chaque objet semblait y rester à sa place... Le Christ colossal, fixé sur l’autel, rayonnat et me souriait avec une malicieuse bienveillance qui me rendit craintif [...]. Il y avait de ravissantes figures de femmes qui souriaient dans toutes les frises, des enfants qui criaient et battaient des ailes en soutenant de grosses colonnes... Je me sentais soulevé par une puissance divine, j’étais plongé dans une joie infinie, dans une extase molle, douce; et, pour en prolonger la durée, j’aurais, je crois, donné ma vie, quand tout à coup, une voix criarde me dit à l’oreille :
– Réveille-toi, suis-moi!...»

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