Au troisième jour de ma présence à
la campagne, une fois mon exaltation retombée, je suis montée en début
d’après-midi aux vieilles vignes du village. Il faisait chaud et une lumière
jaune, un peu humide, enveloppait les champs. Les abricotiers et les cerisiers
dont avait parlé Vera avaient été abattus et remplacés par de très jeunes
arbres dont les maigres branches n’allaient pas porter de fruits de sitôt. Le
sentier montait en serpentant entre les parcelles de blé et d’orge. À la
mi-hauteur, j’ai rencontré un vieil homme avec un chapeau de paille qui avait
du mal à se tenir sur ses jambes et s’arrêtait parfois, le sourcil froncé, pour
regarder fixement l’horizon devant lui. Sa vue me rappela qu’au cours de mes
promenades avec Vera, j’avais souvent croisé ce genre de vieux hommes, des
paysans, accompagnés de petits chiens acariâtres, qui devaient sans doute être hargneux
d’avoir passé une journée entière dans les champs. Jusqu’à l’heure du coucher
du soleil, je suis restée assise sur un banc devant l’abri du surveillant des
vignes, à contempler, par-dessus les parcelles de terrain de la « Vallée
des épines », le panorama du village qui, exactement comme le vernis d’un
tableau peint, me paraissait recouvert d’un réseau de craquelures et de
fissures tissé par les époques révolues.
Un second motif analogue, qui naît
ainsi sans qu’on puisse en connaître les lois m’est apparu un peu plus tard par
un buisson de rosiers sauvages s’accrochant à un terrain laissé à l’abandon, et
qu'à l'âge de cinq ou six ans, selon Vera, j’avais élu comme favori pour me cacher quand
je jouais avec les enfants des voisins. Les mauvaises herbes qui m’arrivaient
aujourd’hui jusqu’à la taille ne laissaient plus de trace de familiarité, il ne
restait que l’air tiède au fond de la vallée et une odeur de menthe qui émanait
des broussailles en ce mois de juillet, qui me faisaient me souvenir des trois ou quatre étés de mon enfance où j'ai passé des vacances à la campagne. Je comprenais maintenant, la raison pour
laquelle, l’été dernier – presqu’une trentaine d’années après – au cours d’une
de mes expéditions pour découvrir la campagne du Québec, la voix m’avait manqué
quand nous avons arrêté la voiture au bord d’un champ très semblable dans son
agencement aux parcelles de terrain de la Vallée des épines, dont la pente
exposée au soleil était colonisée par des broussailles, qui en juin déploient
leurs feuilles d’une verdure éclatante.
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