Tout à l’heure, lorsque je rentrais d’une classe de yoga – la première depuis quelques mois – j’avais l’impression de
marcher avec une lenteur inhabituelle. Les pieds me soutenaient mal, j’étais trop
fatiguée.
Dix minutes plus tard, devant l’ordinateur,
j’ouvre ma boîte e-mail et découvre un message troublant d’une professeure qui m'est chère, et qui souffre d’une méchante maladie. Elle écrit pour donner des nouvelles et dire qu’ils ont
repris leur blog. Ainsi, je lis que sa physiothérapeute lui conseille
de faire des exercices pour renforcer les muscles des doigts, très affaiblis depuis qu'elle est malade. On lui suggère de se remettre à écrire, à utiliser le
clavier ; quelques minutes, chaque jour. L’histoire me touche parce que
cette professeure avait l’habitude d’écrire, elle écrivait bien, très bien. Souvent, dans
des cours, elle essayait de nous transmettre l’amour de l’écriture. La maladie
l’a coupée de cette pratique. Aujourd’hui, l’imaginer devant
l’ordinateur en train d’écrire, me fait penser à Proust. Elle, qui enseigna longtemps La Recherche, connaît bien cette phrase qui
dit que la vie « réellement vécue » serait celle écrite. Que cette
vie soit déjà douloureuse sans l’écrire, et qu’en l’écrivant, on ranime cette
douleur, pas besoin de le dire. Malgré tout, il reste peut-être l'espoir que l’écriture lui fasse sentir qu’elle n’est pas seule ; qu’il
y a un fil invisible et fort entre les douleurs des humains ; une ligne de partage. Et qu'il y a aussi des joies qui reviennent. Ce serait la définition de l'écriture et de l’amitié.
Je pourrais ajouter ici cette évidence : que les grands malheurs de l’histoire nous aident à voir notre
propre malheur avec un peu de distance. Est-ce vrai ? Peut-être. Certes,
le diaporama sur le camp de Milles, « le seul camp français d’internement
et de déportation resté intact » en France, me déplace de la maladie de
Madame C. à l’horreur de la Seconde guerre. Comment en sommes-nous
arrivés là ? Cette question, je me la pose depuis que je sais que la shoah a existé. Les dernières années, j’ai lu des récits et des romans,
j’ai vu des films, des expositions. Aucun récit ne me paraît satisfaisant pour raconter ce qui s'est passé.
« Ne compare pas : le vivant ne
se compare pas », dit l’épigraphe du beau roman de Perrine Leblanc, L’homme blanc, par Ossip Mandelstam. Cet écrivain qui connaissait le goulag, devait savoir long sur les malheurs qui sont incomparables.
Disons qu'on cesse de comparer, de faire des liens, des corrélations. Pourrons-nous vivre alors chaque événement pour lui-même ? On va s'apercevoir je crois qu'il est impossible de le détacher du magma d'émotions, de sensations, de souvenirs qui nous contiennent en tant qu'êtres sensibles.
À penser encore à ma professeure, comment
intégrer que c’est comme ça ?
Qu’on ne puisse faire rien… médecine,
Dieu, s’il existe… ?
Reste l'écriture. Serait-elle presque le dernier recours ?
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