Freud
tient des propos intéressants dans sa « Contribution à l’étude des aphasies ».
Il explique comment dans l’aphasie l’on peut être dans le langage n’étant plus
dans la langue, que l’on demeure un être de parole tout comme l’enfant est un
être de parole avant de parler. Kafka semble en avoir eu l'intuition lorsqu'il écrivait en 1920 dans ses carnets : « Je
sais nager aussi bien que les autres, seulement j’ai meilleure mémoire que les
autres. Je n’ai pas oublié mon ancienne incapacité à nager, mais comme je ne
l’ai pas oubliée, être capable de nager ne m’est d’aucun secours et je ne sais
pas nager ».
Description saisissante de la présence de la langue maternelle pour celui ou
celle qui s’apprête à énoncer ou à écrire, et qui « se trouve » entre
plusieurs langues. Langue maternelle présente donc, mais aussi déstabilisante,
susceptible de brouiller la construction laborieuse sur laquelle nous nous
appuyons quand nous parlons une langue étrangère.
Dernièrement, j'ai été assez surprise de réaliser que si je suis fatiguée, mélancolique, triste, plusieurs mots de la langue maternelle font irruption dans la langue que je suis en train de parler : le français
ou l’anglais, en fonction de l’interlocuteur. Dans la colère aussi, la langue
de la mère est la première qui surgit, car c’est dans ces moments-là, de furie et de trouble, que je m’aperçois à quel
point les mots français ou anglais me restent extérieurs, sans prise sur le
corps, incapables de porter l’émotion. Ou au moins,
c’est la perception que je m’en fais, comme si ces mots n’avaient jamais été
inscrits pour moi.
Je
reviens à Freud qui dans la même « Contribution » avoue avoir « vu et entendu » ses derniers mots avant de
mourir. Freud précise que ces mots n’étaient pas esquissés, mais bien réellement
imprimés. J’ai vécu, déclare-t-il, cette expérience étrange qui consiste
à vivre la fin de ma vie, à vivre mes derniers instants. Il fait ainsi la
relation entre l’étude des aphasies et lui-même, pour affirmer qu’il ne s’agit
pas d’une forme d’oubli, mais plutôt d’une forme aiguë du souvenir. Le rêve
raconte : « Je me rappelle que par deux
fois, je me suis vu en danger de mort ; la perception se produisit chaque fois
de façon soudaine et, dans les deux cas, j’ai pensé : ‘‘Cette fois, c’en est
fait de moi !’’ Pendant que je continuais ainsi à parler intérieurement, uniquement
avec des images sonores tout à fait indistinctes et des mouvements de lèvres à
peine perceptibles, j’entendis des mots en plein danger comme si on me criait
dans les oreilles et je les voyais en même temps imprimés sur une feuille
voltigeant dans les airs ». Freud est ainsi en train
de raconter un futur fantasmé où il serait atteint de mutisme, mais où l’acte
d’inscription pourrait le sauver. À part la peur de la mort qui hante le
rêveur, on peut y percevoir surtout la force de l’écriture : écrire, tenter d’éclairer l'effroi ; l'écriture qui éclaire et qui pourrait aussi dompter l'obscur.
Dans
une émission de philosophie sur Arte, Raphaël Enthoven interroge Anne
Dufourmantelle sur son dernier livre Intelligence
du rêve (Payot, 2012). La métaphore du rêve comme
« l’autre pensée », dont parle Dufourmantelle, me paraît intéressante : le rêve comme
lieu de la déraison, du paradoxe, une énigme à déchiffrer ; d'emblée, la voie d'expression de l’inconscient, car on rêve sans cesse, le jour et la nuit, quand
on s’en souvient et quand on oublie. On pourrait résumer le message de l'Intelligence du rêve ainsi : on est libre de « rêver » notre vie, libre d'être acteur
des transformations possibles dont le rêve nous envoie peut-être le signal.
L’oxymore du titre d'Anne Dufourmantelle évoque le « génie » du rêve dans le sens du daïmon grec, cette divinité intérieure qui donne la singularité de chacun - intermédiaire entre l’inconnu de l’inconscient et ce qui fait surface au niveau de la conscience. Ce génie comme énigme qu'on n'en aura jamais assez d'interpréter, décrypter, traduire. Après tout, la quête du sens donne sens à notre existence sur terre, puisqu'on sait qu'on est mortel.
L’oxymore du titre d'Anne Dufourmantelle évoque le « génie » du rêve dans le sens du daïmon grec, cette divinité intérieure qui donne la singularité de chacun - intermédiaire entre l’inconnu de l’inconscient et ce qui fait surface au niveau de la conscience. Ce génie comme énigme qu'on n'en aura jamais assez d'interpréter, décrypter, traduire. Après tout, la quête du sens donne sens à notre existence sur terre, puisqu'on sait qu'on est mortel.
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