Une fin de matinée d’octobre, alors que
dehors le vent souffle et que l’hiver s’annonce, j’essaie de me consoler
en me disant que Winnipeg est peut-être l’endroit où je risque de trouver une
réponse à cette question que je me pose depuis un an : c’est quoi vivre
dans un environnement hostile ? Je dis bien « hostile » pour
parler de la météo, de la lumière violente du soleil sans chaleur pendant six
mois, du vent qui balaie les plaines avec une force inouïe… Les gens ici sont
loin d’être hostiles. La plupart – au moins ceux que j’ai croisés – m’ont
semblé chaleureux, bienveillants. Je suis même arrivée à me dire que le Friendly Manitoba qu’on lit sur les
plaques des voitures n’est pas une métaphore, mais une réalité. Pourtant, si les
gens sont accueillants, ce n’est pas le cas de l’architecture du
centre-ville de Winnipeg. Je crois ne pas être la seule à trouver cette
architecture hostile, indiciblement désordonnée, sans âme. Des tours en
verre des années 80 se lèvent vers le ciel, irrespectueux des quelques bâtiments du XIXe siècle qui restent encore debout, traces d’un passé une fois
prometteur. Dommage qu'on ait beaucoup démoli dans les
années 70 et 80 dans une frénésie de modernisation ; le résultat est pitoyable. Et ironie du sort : le tout neuf MTS Centre, qui remplaça l’ancien Eaton Centre – le mythique supermarché des années 20 – bâti
pour être la maison de l’équipe de hockey, se voit aujourd’hui obliger de se
transformer en salle pour des spectacles de variétés, lorsque la saison de hockey est suspendue au Canada.
Ville en noir et blanc, il est rare que
Winnipeg n’invite pas celui ou celle qui y habite à se questionner, à chercher
à comprendre son histoire, ses quartiers, les gens qui y sont nés. Cette ville
est un paradoxe, un croisement des extrêmes : trop froid-trop chaud, trop
neuf-pas assez ancien, trop riches-trop pauvres, trop plat… Comment vivre avec
ces « trop » sans trop désespérer ?
Tant que je peux, j’essaie de me montrer
bienveillante, de ne pas ignorer la partie pleine du verre, le positif dans tout cela, le travail, la stabilité..., je suis à l’écoute du mal et du bien,
souvent fatiguée, « tannée » de ces rappels que je me fais incessamment. Mais après tout, et en dépit de ces exercices d’auto-discipline, ma
question initiale sur Winnipeg ne lâche pas, me revient en force. Sous
une autre forme, c’est vrai, et tout aussi violente : « Comment
m’adapter et faire (avec) une vie là où il neige le 4 octobre et où, en été, il
fait souvent 40oC ? Oui, je veux bien - « La ville des
extrêmes », exotique peut-être, mais comment faites-vous pour vivre, pour que des enfants y
naissent et restent, et qu’eux-mêmes après… ? - « Le froid conserve,
tu sais », m’explique une collègue souriante et bien disposée (sans enfants), qui n’a presque
pas de rides sur son visage à son âge, cinquante-trois ans. « Il fait très beau et
chaud à Winnipeg en été », c’est toujours elle qui parle, elle qui a
grandi en France et semble se plaire à Winnipeg. Comment fait-elle pour aimer et pas critiquer ? Peut-on vraiment ? Vrai-vraiment ? Peut-être, oui, non... enfin, peu importe... Sa vie reste un mystère pour moi. Les extrêmes m’intimident, me déstabilisent, et
j’ai besoin de temps pour me remettre. « Sois brave », dirait ma
grand-mère, car il faut de la bravoure pour conjurer l’hostilité.
Depuis un certain temps, chaque jour
m’apporte une découverte, assez étrange parfois. Et pour une raison encore inconnue,
j’ai aussi la disposition d’y prêter attention, d’y réfléchir. La neige cocasse d’hier, par exemple, m’a fait croiser Anna, jolie assistante de français venue de Bordeaux pour donner des cours à Winnipeg pendant quelques mois : « O la la ! quelle neige ! Est-ce
qu’il tombe comme ça ici en octobre ? Et le vent, du
jamais-vu ! ». - Oui, ma belle, et tu n’as rien vu encore…
janvier, février. Je me suis arrêtée là, car prononcer ces mois me semblait un
peu comme provoquer le froid, le grand froid.
Puis, de fil en aiguille, Anna en est
venue à me raconter que ses parents viendront lui rendre visite pour les
fêtes de fin d’année. Avec son attachante innocence, elle continue : « Qu’en penses-tu ? Si on louait
une voiture, combien d’heures ça prendrait pour aller à
Montréal ? ». Inutile d’ajouter ce que j’ai dû lui répondre - échange absurde, car on était en plein absurde, une comédie grinçante où une voix brisait le silence pour dire qu'on est au centre du Canada, loin de tout et de toute ville
à part Brendon, etc ; qu’il faut prendre l’avion, oui, l'avion pour
aller à Montréal, c'est trop loin, les trois mille kilomètres d'ici là-bas ne se font pas en
voiture ; il faut être fou pour les faire, surtout en hiver, impossible...Et pour finir - il se peut même qu’Anna rentre en France en mai prochain et qu’à Winnipeg il fasse
encore hiver… et… et. Coupure, et puis, un rire forcé : « Oh la la, je ne savais pas où je venais ! ».
– Vraiment ? Vraiment... Avec
ces mots, on pourrait commencer un roman ; une pièce de théâtre plutôt.
Le vent continue de souffler dehors. Il
s’acharne depuis deux jours et presque deux nuits. Un tapis de neige fine s’est
posé sur les toits. On dirait que c’est la veille de Noël, pas le week-end de
Thanksgiving.
Je finis ici, mais pas avant de vous
laisser un poème aigre-doux de Marc Prescott - talentueux comédien et metteur en scène de Winnipeg –
qui m’a enchantée il y a quelques jours à ce colloque dont je parlais, à Saint-Boniface.
« Je suis tanné » donc, le titre du poème. Quoi de plus vrai quand on est le 5 octobre et c'est l'hiver ?
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