05/10/2012

hiver le 5 octobre


Une fin de matinée d’octobre, alors que dehors le vent souffle et que l’hiver s’annonce, j’essaie de me consoler en me disant que Winnipeg est peut-être l’endroit où je risque de trouver une réponse à cette question que je me pose depuis un an : c’est quoi vivre dans un environnement hostile ? Je dis bien « hostile » pour parler de la météo, de la lumière violente du soleil sans chaleur pendant six mois, du vent qui balaie les plaines avec une force inouïe… Les gens ici sont loin d’être hostiles. La plupart – au moins ceux que j’ai croisés – m’ont semblé chaleureux, bienveillants. Je suis même arrivée à me dire que le Friendly Manitoba qu’on lit sur les plaques des voitures n’est pas une métaphore, mais une réalité. Pourtant, si les gens sont accueillants, ce n’est pas le cas de l’architecture du centre-ville de Winnipeg. Je crois ne pas être la seule à trouver cette architecture hostile, indiciblement désordonnée, sans âme. Des tours en verre des années 80 se lèvent vers le ciel, irrespectueux des quelques bâtiments du XIXe siècle qui restent encore debout, traces d’un passé une fois prometteur. Dommage qu'on ait beaucoup démoli dans les années 70 et 80 dans une frénésie de modernisation ; le résultat est pitoyable. Et ironie du sort : le tout neuf MTS Centre, qui remplaça l’ancien Eaton Centre – le mythique supermarché des années 20 – bâti pour être la maison de l’équipe de hockey, se voit aujourd’hui obliger de se transformer en salle pour des spectacles de variétés, lorsque la saison de hockey est suspendue au Canada.

Ville en noir et blanc, il est rare que Winnipeg n’invite pas celui ou celle qui y habite à se questionner, à chercher à comprendre son histoire, ses quartiers, les gens qui y sont nés. Cette ville est un paradoxe, un croisement des extrêmes : trop froid-trop chaud, trop neuf-pas assez ancien, trop riches-trop pauvres, trop plat… Comment vivre avec ces « trop » sans trop désespérer ?

Tant que je peux, j’essaie de me montrer bienveillante, de ne pas ignorer la partie pleine du verre, le positif dans tout cela, le travail, la stabilité..., je suis à l’écoute du mal et du bien, souvent fatiguée, « tannée » de ces rappels que je me fais incessamment.  Mais après tout, et en dépit de ces exercices d’auto-discipline, ma question initiale sur Winnipeg ne lâche pas, me revient en force. Sous une autre forme, c’est vrai, et tout aussi violente : « Comment m’adapter et faire (avec) une vie là où il neige le 4 octobre et où, en été, il fait souvent 40oC ? Oui, je veux bien - « La ville des extrêmes », exotique peut-être, mais comment faites-vous pour vivre, pour que des enfants y naissent et restent, et qu’eux-mêmes après… ? - « Le froid conserve, tu sais », m’explique une collègue souriante et bien disposée (sans enfants), qui n’a presque pas de rides sur son visage à son âge, cinquante-trois ans. « Il fait très beau et chaud à Winnipeg en été », c’est toujours elle qui parle, elle qui a grandi en France et semble se plaire à Winnipeg. Comment fait-elle pour aimer et pas critiquer ? Peut-on vraiment ? Vrai-vraiment ? Peut-être, oui, non... enfin, peu importe... Sa vie reste un mystère pour moi. Les extrêmes m’intimident, me déstabilisent, et j’ai besoin de temps pour me remettre. « Sois brave », dirait ma grand-mère, car il faut de la bravoure pour conjurer l’hostilité.

Depuis un certain temps, chaque jour m’apporte une découverte, assez étrange parfois. Et pour une raison encore inconnue, j’ai aussi la disposition d’y prêter attention, d’y réfléchir. La neige cocasse d’hier, par exemple, m’a fait croiser Anna, jolie assistante de français venue de Bordeaux pour donner des cours à Winnipeg pendant quelques mois : « O la la ! quelle neige ! Est-ce qu’il tombe comme ça ici en octobre ? Et le vent, du jamais-vu ! ». - Oui, ma belle, et tu n’as rien vu encore… janvier, février. Je me suis arrêtée là, car prononcer ces mois me semblait un peu comme provoquer le froid, le grand froid.

Puis, de fil en aiguille, Anna en est venue à me raconter que ses parents viendront lui rendre visite pour les fêtes de fin d’année. Avec son attachante innocence, elle continue : « Qu’en penses-tu ? Si on louait une voiture, combien d’heures ça prendrait pour aller à Montréal ? ». Inutile d’ajouter ce que j’ai dû lui répondre - échange absurde, car on était en plein absurde, une comédie grinçante où une voix brisait le silence pour dire qu'on est au centre du Canada, loin de tout et de toute ville à part Brendon, etc ; qu’il faut prendre l’avion, oui, l'avion pour aller à Montréal, c'est trop loin, les trois mille kilomètres d'ici là-bas ne se font pas en voiture ;  il faut être fou pour les faire, surtout en hiver, impossible...Et pour finir - il se peut même qu’Anna rentre en France en mai prochain et qu’à Winnipeg il fasse encore hiver… et… et. Coupure, et puis, un rire forcé : « Oh la la, je ne savais pas où je venais ! ». – Vraiment ? Vraiment... Avec ces mots, on pourrait commencer un roman ; une pièce de théâtre plutôt.

Le vent continue de souffler dehors. Il s’acharne depuis deux jours et presque deux nuits. Un tapis de neige fine s’est posé sur les toits. On dirait que c’est la veille de Noël, pas le week-end de Thanksgiving.

Je finis ici, mais pas avant de vous laisser un poème aigre-doux de Marc Prescott -  talentueux comédien et metteur en scène de Winnipeg – qui m’a enchantée il y a quelques jours à ce colloque dont je parlais, à Saint-Boniface. « Je suis tanné » donc, le titre du poème. Quoi de plus vrai quand on est le 5 octobre et c'est l'hiver ?

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