1 octobre. Les couleurs des arbres sur le
campus me semblent plus rouges aujourd’hui parce qu’il fait beau
et que le soleil brûle comme si c’était l’été.
L’été indien existe pour de vrai dans cette ville où en hiver, il fait si froid. Je me disais qu’autrefois, les Indiens devaient marcher pieds nus dans les plaines à cette époque de l'année pour prendre la chaleur avant que les vents du Nord ne descendent.
L’été indien existe pour de vrai dans cette ville où en hiver, il fait si froid. Je me disais qu’autrefois, les Indiens devaient marcher pieds nus dans les plaines à cette époque de l'année pour prendre la chaleur avant que les vents du Nord ne descendent.
Le week-end dernier à une conférence à l'université de Saint-Boniface, on parlait souvent d’Indiens – le terme générique pour dire Métis, Cris, Assiniboines etc, des gens qui habitaient ces
terres avant l’arrivée des Européens, des Blancs. On disait du
bien d'eux, car le sujet du colloque - « nouveaux
regards sur l’identité francophone de l’Ouest du Canada » (titre assez intimidant, non ?), appelait l'évocation de l'héritage ancestral, des contes, histoires et une histoire... Cela aurait été hypocrite de
l’ignorer, de faire comme si avant que les Français ou les Québécois n'arrivent ici, ce lieu avait été vierge et inhabité.
Je connais peu l’histoire du
Manitoba et de Winnipeg. Depuis que j'habite ici, je commence petit à petit à découvrir la
communauté francophone de Saint-Boniface, un vieux quartier de
Winnipeg, aujourd’hui une ville dans le grand Winnipeg area. À ce
colloque, j’ai rencontré des profs et des étudiants, et
quelques écrivains locaux assez intéressants. J'ai été assez surprise de constater que tous partagent une sorte de fierté d’appartenir à leur communauté. Plusieurs fois, dans les
présentations auxquelles j’ai assisté, il s’agissait de transmettre le « patrimoine culturel » de Saint-Boniface, d’être fier de parler français dans une
ville où les anglophones sont majoritaires etc. Pendant les pauses café et aux deux lancements de livre, le même sentiment de fierté se traduisait cette fois
par des discours appuyés sur le passé (qui remonte au XIXe siècle), des hommages un peu forts aux
« pionniers » de la ville, qui dans les années 60, ont
répandu les idées et l’activisme de la Révolution tranquille du Québec... Le
livre de Raymond Hervé, qui fut lancé, s’appelle La Révolution tranquille au Manitoba français. Un jour je lirai peut-être plus à ce sujet.
Au fond, c’est la fierté invoquée à
maintes reprises qui m'a donné du fil à retordre. Dans ma communication, j’allais parler de Nancy Huston (la seule écrivaine d’origine de l’Ouest
canadien que j’ai lue et que je « connais » plus ou moins), et j’avais donc rangé mes idées autour de la déconstruction de cette fierté dont tout le monde parlait. Dans ma tête, les questions de Huston se précipitaient l'une après l'autre : doit-on absolument
être fier et fidèle à un lieu natal, à un pays, à une province ? Ne devrait-on pas pouvoir s’envoler, s’évader, trahir l'origine afin de
devenir créateur ? Après tout, peu importe où on est né, si on parvient à
en faire quelque chose et à maintenir vivante cette dynamique entre ici et là-bas, « une enfance ici et une maturité là-bas », etc. C’était à peu près mon propos sur les essais de Nancy Huston, mais voilà que soudain, les discours que j’entendais autour me rendaient nerveuse.
À 15h, j’ai parlé, j’ai fait ma
communication, dit ce que j'avais préparé. Finalement, je crois que deux ou trois ou quatre dans la
salle ont compris mieux que d’autres ma sensibilité pour l’être étranger, l'envie d’exprimer qu’on est tous étrangers d’une manière ou d’une autre,
expatriés ou pas. J'aime que Nancy Huston soit du côté de l’identité multiple, tiraillée, ouverte à
l’autre et aux mille autres, comme fut Romain Gary, un de ses écrivains de
cœur. Je lis ses textes souvent avec une sorte d'émotion, surtout là où je crois m'identifier.
Vers 17h, fin de la session. J'avais les joues rouges, je savais que mon discours allait à l'encontre de la
majorité des discours qui avaient choisi plutôt d'honorer « l’identité française de l’Ouest du
Canada ». Je savais surtout que je serais à jamais une étrangère dans ce
groupe, une sorte de « voyageuse », comme disait madame Cozea ; ‘in transit’, m’expliquait une étudiante de Strasbourg venue étudier ici pour six mois. « Le sang ne se fait pas eau » -- j'ai lu ce vieux proverbe sur un blog ce matin et, par une étrange analogie, il m'a paru exprimer mieux que je ne saurai le dire ce que j'avais ressenti au colloque. Après tout, ni pour moi, ni pour les Manitobains de langue française, le sang ne se fait, ne se fera pas eau.
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