À Toronto, j’ai reconnu une partie de mon
passé récent, les années de doctorat. Il y avait sur Bloor Street les mêmes
restaurants de sushi, autour de la station de métro Spadina, la même
agglomération de passants et de voitures, mais mes yeux avaient changé ;
les visages et les regards des étudiants jeunes, invisibles jadis, me
semblaient tout neufs et m’éblouissaient. Je marchais lentement et en marchant,
de temps en temps, je buvais du café que je tenais à la main. Dans les rues
plus étroites de Yorkville, près de la Maison de la Presse, je regardais avec
une certaine curiosité ces femmes et ces hommes bien habillés, en manteau de
cuir et sans bonnet, pour qui le vent froid de Winnipeg que je venais de
quitter, n’avait jamais existé. C’était l’histoire que je me racontais quand je
me suis arrêtée devant la vitrine de Louis Vuitton ; elle exhibait de
belles photos en noir et blanc sur le thème du voyage dans une île éloignée,
sous le soleil. J’étais là, je voyais de mes propres yeux ces vitrines
étrangères, qui m’imposaient avec tant de force leur présence… L’air était
doux, incroyablement automnal pour une mi-décembre.
En même temps, dans la petite ville de
Newtown, des gens pleuraient, priaient, allumaient des bougies pour les âmes
des disparus ; des images de terreur perçaient à l’horizon, et j’aurais pu
pleurer moi-même. Moi, sans prise sur ces lieux de Toronto où je
marchais ; j’avais presque cessé d’exister. Une lourde fatigue qui n’était
celle de personne se traînait à travers la foule.
Je me retrouvai quelques heures plus
tard ; mais je traversai Eaton centre en visiteuse distraite ;
j’étais coupée de la musique de Noël, des vitrines abondant de cadeaux. J’avais
hâte de me chercher une place dans un café pour reprendre La force des choses de Simone de Beauvoir. Le jour d’aujourd’hui me
semblait si éloigné de la fin de la Seconde Guerre, et pourtant, il y avait une
certaine joie alentour.
Eaton Centre, Toronto Indian Road, Toronto
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