04/12/2013

personne(s)

La collection « Le livre de la vie » réalise le projet imaginé par Roland Barthes de « prendre un livre classique et tout y rapporter de la vie pendant un an ». Pour son septième titre, Sarah Chiche s’est emparée d'un livre qui l’accompagne depuis de nombreuses années, Le Livre de l’intranquilité de Bernardo Soarès, le semi-hétéronyme de Fernando Pessoa. Pour cela, elle a dû faire face à trois difficultés. La première tient à l’inachèvement et à la fragmentation de ce texte auquel Pessoa a travaillé les vingt dernières années de sa vie. Reconstitué et régulièrement réarrangé à partir des fragments abandonnés dans sa fameuse malle « pleine de gens », comme l’appelle Tabucchi, ce livre est condamné à demeurer « à jamais la doublure du livre manquant ». La deuxième difficulté est l’écriture elle-même qui, selon Pessoa, est toujours un échec. Les mots appauvrissent la pensée. Écrire, rajoute Chiche, « c’est admettre douloureusement, qu’à chaque étape de l’écriture, quelque chose renonce et meurt ». Enfin, quiconque lit ce chef-d’œuvre ressent une « fatigue poisseuse qui prend au corps, gagne la tête, puis la langue et les yeux ».


Si malgré ces difficultés, Personne(s) est une réussite, c’est parce que Sarah Chiche vit le texte plus qu’elle ne le lit. La mélancolie du poète la renvoie à la sienne et elle se souvient, par exemple, avoir autrefois trouvé refuge dans un hôtel comme Soarès a trouvé refuge dans sa chambre de la rue des Douradores. Si Pessoa ne parvient pas à faire le deuil du père et à pardonner à sa mère, Chiche réussit. « Ma mère est morte il y a douze ans, écrit-elle. Elle est aujourd’hui en pleine forme et nous nous entendons merveilleusement bien ». Chiche résume la difficulté à être en une formule qu’on pourrait croire de Pessoa lui-même : « Le moi est un terrain meuble et le monde, un simulacre – mais le café est bon ». Méditation sur la mélancolie, le deuil, l’écriture et l’existence, Personne(s) est un livre attachant pour les amateurs de Pessoa et pour les autres.


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