Le jour où la
biographie de Laure Adler sur Marguerite Duras m’est tombée dans les mains,
j’ai compris en lisant le chapitre sur « la mère, la petite,
l’amant », que la honte peut s’épuiser par l’écriture. Duras n’a cessé
tout au long de sa vie de revenir sur cette douleur de l’amour avec l’amant
chinois ; et sur la honte d’avoir transgressé quelque chose qui est devenu
plus tard le noyau de son écriture. Pendant longtemps, cet épisode reste obscur
à ses yeux, cette nécessité d’aimer, le sacrifice consenti à sa mère, le tour
de passe-passe où croyant se donner à la mère, elle fait l’amour à un homme qui
semble l’arracher à l’emprise de la mère ; le désir tout de suite, la
violence, la fascination pour l’argent de cet homme. Le désir si fort que
les mots sont inutiles et que le silence s’impose. En écrivant, Duras vide
l’histoire de sa part d’ombre et de malheur pour n’en garder que l’épure. Elle transforme
par la passion répétitive des mots l’histoire personnelle en ritournelle: « L’histoire est déjà là, déjà inévitable, Celle d’un amour
aveuglant, Toujours à venir, jamais oublié », écrit-elle dans L’Amant de la Chine du nord. L’histoire
avec le Chinois dure deux ans, mais par l’écrit, elle ne cesse de se prolonger,
d'exister à jamais. Le combat avec les mots dure des mois et des
mois, des années, jusqu’à ce que le vécu soit passé dans un récit de fiction ; ce sont les mots qui bouleversent Duras,
qui la sauvent en éloignant d’elle le danger d’une adolescence au bord de la
folie. L’écriture semble jouer la fonction d’une catharsis.
À relire Duras, j’ai l’impression presque palpable que la littérature est ce lieu
où il est possible de partager la folie, l'interdit, la tristesse et le bonheur, et en faire
quelque chose ; la littérature soudain comme une sorte de « communauté
inavouable » dont parlait Barthes dans le cours sur Comment vivre ensemble, où on peut imaginer qu’il y a un lien
invisible entre les humains ; et leurs joies et tristesses. Pourtant, ce
n’est pas pareil quand il s’agit de l’holocauste dans la
littérature ou le cinéma, car là, les mots et les images semblent buter sur leurs limites ; la réalité les dépasse, le vécu est plus grand que ce qu'on peut en dire. Cette évidence m'est apparue troublante en lisant un article du Monde sur l’affaire Kasztner et le film documentaire de l'américaine Gaylen Ross. Mais oui, la réalité dépasse la fiction.
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