31/03/2012

pourquoi

Aujourd’hui seulement je me pose la question pourtant si simple, qui ne m’est jamais venue : pourquoi ne l’avais-je jamais interrogé sur son enfance, mon père, à aucun moment, pas même déjà presque adulte, avant mon départ au Canada. Pourquoi ne pas lui avoir dit que je voulais savoir. Les questionnements retardés, intimes ou ordinaires, ne relèvent que l’impossibilité même de la question à présent que mon père est mort, et avec lui, une grande partie de son monde. J’ai grandi avec une sorte de règle implicite, qu’il était interdit d’interroger les parents, les adultes en général, sur ce qu’ils ne voulaient pas qu’on sache mais que nous les enfants savions ou croyions savoir. Le dimanche d’été de mes onze ans j’ai reçu la loi et le récit du silence. Si je voulais être « heureuse », c’est que je ne devais rien demander, ni à ma mère, ni à mon père ou aux grands-parents. Me conformer à leur désir de mon ignorance de leur passé qui était aussi le mien. Il me semble que transgresser la loi – mais je ne l’ai même pas imaginé – aurait été égal à proférer une obscénité devant eux, sinon pire, une sorte de cataclysme que j’associe cet après-midi aux mots de Kafka à son fils, tels que celui-ci les évoque dans Lettre au père et que j’ai copiés dans mon carnet la première fois que je les ai lus, à trente-deux ans, sur la table d'un café à Toronto, je te déchirerai comme un poisson. 

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