Aujourd’hui seulement
je me pose la question pourtant si simple, qui ne m’est jamais venue :
pourquoi ne l’avais-je jamais interrogé sur son enfance, mon père, à aucun
moment, pas même déjà presque adulte, avant mon départ au Canada. Pourquoi ne
pas lui avoir dit que je voulais savoir. Les questionnements retardés, intimes
ou ordinaires, ne relèvent que l’impossibilité même de la question à présent
que mon père est mort, et avec lui, une grande partie de son monde. J’ai
grandi avec une sorte de règle implicite, qu’il était interdit d’interroger les
parents, les adultes en général, sur ce qu’ils ne voulaient pas qu’on sache mais
que nous les enfants savions ou croyions savoir. Le dimanche d’été de mes onze ans j’ai reçu la
loi et le récit du silence. Si je voulais être « heureuse », c’est
que je ne devais rien demander, ni à ma mère, ni à mon père ou aux
grands-parents. Me conformer à leur désir de mon ignorance de leur passé qui
était aussi le mien. Il me semble que transgresser la loi – mais je ne l’ai même
pas imaginé – aurait été égal à proférer une obscénité devant eux, sinon pire,
une sorte de cataclysme que j’associe cet après-midi aux mots de Kafka à son fils, tels que
celui-ci les évoque dans Lettre au père
et que j’ai copiés dans mon carnet la première fois que je les ai lus, à trente-deux ans, sur la table d'un café à Toronto, je te déchirerai comme un
poisson.
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