Cet été m’a offert quelques moments
doux : la lecture du Journal de
Virginia Woolf et la relecture des extraits des Mémoires de Simone de Beauvoir, jusqu’à Tout compte fait. Je me rends compte que j’ai lu avec bonheur ces
écrivaines cherchant dans leurs mots et souvenirs quelques armes, et peut-être un itinéraire, une inspiration pour la vie d’adulte qui me semble
complexe, rusée, féroce même. Voici que pour mon trente-quatrième été, les
livres de Simone de Beauvoir m’aident à accueillir quelque chose de mon âge mûr
et m’incitent à réfléchir sur l’écriture et le passage du temps ; sur ce
que je n’ose pas appeler « la force de l’âge »…
« M’installer » au milieu de la trentaine. Je
songe à Barthes qui, dans son cours La
Préparation du roman I et II, en 1978, deux ans avant sa mort, réfléchit
sur le temps qui lui reste, présentant combien court sera son futur. Il n’aura
plus le temps de vivre de nombreuses vies ; « il me faudra choisir ma
dernière vie », dit-il. À l’époque, Barthes a beaucoup plus que trente-cinq ans, et il
commence le cours du 2 décembre 1978 citant Dante, qui à trente-cinq écrit :
« Nel mezzo del cammin di nostra
vita/Au milieu du chemin de notre
vie ». Barthes entend parler de la vieillesse, « d’un compte à rebours flou mais dont le
caractère irréversible est perçu plus que dans la jeunesse », et il nous met en garde que dans la société, « cette référence à l’âge est mal prise, mal
comprise. On y voit une coquetterie : ‘mais non !’ ou une
obsession ». Heureusement qu'il reste ceux qui sont fatigués de la répétition, « le
peu de sujets qui pensent encore », dit-il, qui reconnaissent que le temps passe,
qu’on vieillit. Barthes s’identifie à eux et imagine que : « Un moment vient où ce qu’on
a fait, écrit (travaux et pratiques passés) apparaît comme un matériau répété,
voué à la répétition, à la lassitude de la répétition ». Il continue
désespéré : « Quoi ? Toujours jusqu’à ma mort, je vais écrire
des articles, faire des cours, des conférences – ou au mieux des livres – sur
des sujets qui seuls varieront (si peu !). Quoi ? Quand j’aurai fini
ce texte, ce cours, il n’y aura plus qu’à en commencer un autre ? Non,
Sisyphe n’est pas heureux : il est aliéné, non à la vanité de son travail,
mais à sa répétition ». Le pessimisme de Barthes fait peut-être
rire, mais il soulève une question assez troublante : comment ne pas sombrer dans la violence monotone de l’âge ? Ou
encore, comment vivre l’épuisement de
l’étonnement ? Pour celle ou celui qui écrit, ou qui a l’impression
d’avoir vécu des nombreuses vies - arrivé(e) à un certain âge - est-il possible
de se surprendre ? L’inconcevable peut encore avoir lieu ?
Dans les années quatre-vingts, Deleuze pensait que la routine peut être révolutionnaire.
Enfin, chacun saura pour lui...
Dans les années quatre-vingts, Deleuze pensait que la routine peut être révolutionnaire.
Enfin, chacun saura pour lui...
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