« Par
où commencer ? », demande Virginia Woolf dans une entrée de son Journal, le 17 juillet 1921. Quand j’ai lu cette question, je me
suis souvenue d’une de mes professeures de littérature à la fac, qui avait perdu son
fils après la rentrée. Elle avait manqué peu de jours, mais tout le reste de
l’année, nous n’avions commenté que des textes sur la mort, des récits de
deuil. À l’époque, je n’avais pas fait le lien entre sa douleur et les
textes, mais aujourd’hui, je la comprends : tout en restant dans la vie,
elle cherchait à être dans la mort. Croyait-elle que la littérature est ce lieu
de partage où les douleurs des humains peuvent entrer en résonnance ? Que
les textes peuvent consoler, donner l’impression qu’on n’est pas seul(e) à souffrir ? Je l’ai perdue de vue, cette professeure, elle
doit être à la retraite depuis longtemps. Penser à elle aujourd’hui me fait
dire qu’elle a dû se poser souvent cette question « par
où commencer ? » quand elle entrait dans la salle de
classe, et dans sa tête, elle était ailleurs. « Commencer » le cours a dû devenir au fur et à mesure synonyme de vivre ici et maintenant ; petit à petit, parler, penser la ramenait peut-être à la vie.
À l’époque, j’avais vingt ans
et les événements se succédaient si vite que je n’avais pas le temps de les
observer et de noter des réflexions et des sentiments qu’ils déclenchaient en
moi. Je vivais ce que je pouvais, et « le reste » passait à côté. Des
années après, je m’en souviens... Hier, j’ai volé vingt minutes au Journal de Virginia Woolf que je n’ai
pas pu finir comme je me l’étais proposé, ayant eu ce désir soudain de poser le
livre et de sortir marcher au bord de la rivière Rouge. Un orage approchait, et j’ai regardé cette
rivière avec les yeux de Virginia Woolf, j’ai vu avec ses yeux la rivière Ouse
où elle descendait et traînait sa jupe, les poches remplies de pierres. Le
monde était mis entre parenthèses et cette image me donnait l’impression
d’entendre une voix lire des pages de son journal, surtout ces derniers mots à son mari avant le suicide :
‘I have a feeling I shall go mad. I
cannot go on any longer in these terrible times. I hear voices and cannot
concentrate on my work. I have fought against it but cannot fight any longer. I
owe all my happiness to you but cannot go on and spoil your life’. Virginia
Woolf avait 59 ans quand elle est partie de chez elle vers la Ouse le 28 mars 1941. Oui,
c’est sûrement assez troublant de découvrir l’intimité de cette femme qui, de
1915 à 1941, a consigné sur des feuilles et dans des carnets, des impressions
de lecture, des souvenirs, troubles, voyages etc. 27 volumes, dont environ 600 pages
sont traduites en français sous le titre Journal d’un écrivain (Christian Bourgois, 1954, trad. de Germaine Beaumont). Ai-je besoin
d’ajouter que l'univers d'une femme qui écrit en dit long sur son
écriture ?
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