Qu’est-ce que le bonheur ? Chacun a
sa réponse à cette simple question. Si on cherche les sens du bonheur, c’est
qu’on sait qu’être heureux est un état d’âme instable, fragile, et que tenter
de l’écrire serait peut-être une manière de le retenir, le prolonger, en faire
quelque chose.
Ce week-end, trois films que j’ai vus au
mini-festival de films canadiens hongrois m’ont semblé poser la question du
bonheur. Comment y toucher ? Comment le vivre, le renouveler, lui donner
une certaine durée ? Il est connu : on est heureux quand on partage avec
les autres, quand on est en bonne compagnie et que ça passe ; quand on est
reconnu par la vie et par ceux qu’on aime, et qu’on ne se réduit pas à
soi-même, etc. Bref, quand ça marche et qu’on est libre d’angoisse, détaché,
détendu – on aime et on est aimé. Parfois, on parle du bonheur ainsi.
Ces films donc, réalisés par des Canadiens
d’origine hongroise pensent la quête du bonheur, quête singulière et tellement
humaine, et la mettent en lien avec l’identité : qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Qu’est-ce que vous avez envie de faire de votre vie ? Il s’avère
que les narrateurs des documentaires en question sont pris dans des entre-deux
intéressants, entre deux ou plusieurs cultures, langues, traditions ; ils
viennent de Hongrie après la Seconde guerre et s’établissent sur le boulevard
Saint-Laurent à Montréal. Ils ouvrent des épiceries, boulangeries, vont à la
synagogue ou à l’église, fondent des familles, inventent une vie dont on sent
la vitalité, l’énergie, l’élan. « Il y a de l’espoir », disent-ils
souvent, et on imagine leur reconnaissance d’être vivants après la guerre...
En filigrane surgit après une réflexion
sur le passage du temps, sur les gens qui changent de quartier, se déplacent,
se dissipent un peu partout dans la ville de Montréal, les uns s’assimilent,
les autres résistent et font des communautés presque fermées, la plupart d’entre
eux s’intègrent sans perdre le lien avec la culture d’origine. Dans le
va-et-vient entre là-bas, au pays natal – qui reste inscrit dans la nourriture,
les coutumes, les fêtes, par exemple – et le Canada, pays de choix, se renouvelle
l’espoir que des choses sont possibles, que l’aventure d’une vie nouvelle est
ouverte. Il est vrai que les films dont je parle mettent de l’avant un imaginaire
plutôt idéalisant sur l’immigration, à questionner aujourd’hui. Les obstacles
restent en arrière-plan, la joie de vivre prime. Pourquoi pas, car malgré tout,
c’est bon de se rappeler qu’il fait bon rêver, poursuivre des rêves et tenter
de les réaliser ; faire confiance à une terre nouvelle.
Le documentaire de 1973 d’Albert Kish, Une rue de lait et de miel, montre le
boulevard Saint-Laurent après la Seconde guerre comme un lieu de richesse et
d’accueil pour des immigrants venus d’Europe ; Hongrois, Polonais,
Roumains, Russes... La rue elle-même devient une sorte de vieille Europe,
rendue vivante par les commerces qui s’ouvrent, les boulangeries, les marchés
etc. Des familles s’y installent, inventent une vie, on sent le bonheur des
enfants qui jouent dehors, qui montent les escaliers extérieurs typiques des
maisons montréalaises.
Kish, le réalisateur, recueille des
témoignages de ces premiers immigrants d’Hongrie. C’est assez intéressant, surtout
quand un d’entre eux évoque le boulevard Saint-Laurent qui « a beaucoup
changé » depuis les années 50. L’homme de quatre-vingts ans aujourd’hui
avoue le « mélange de nostalgie et d’espoir » qu’il éprouve chaque
fois quand il marche sur cette rue et croise des gens dont il ne connaît plus l’histoire –
d’où ils viennent, quelles langues ils parlent – mais dont il se sent proche parce qu’ils vivent dans le même quartier. Le lieu est liant.
Il y avait peu de spectateurs dans la
salle de cinéma, la plupart d’un certain âge. Je crois que chacun a trouvé
quelque chose à quoi s’identifier. À la fin, quand les lumières se sont
allumées, ils n’avaient pas l’air de vouloir se lever, comme s’ils tentaient peut-être
de prolonger le fil des souvenirs, les images du passé... Pour ma part, je me
suis dit que le cinéma, comme la littérature, a ce pouvoir extraordinaire de
nous mener ailleurs pour qu’on reparte autrement. Une sorte de magie.
L’autre documentaire, Eaux de vie par Tamas Wormser, réalisé en 2006, parle d’un tout
autre sujet : l’eau, la sensualité des bains et leurs rituels spirituels.
Tourné en treize pays différents, le film donne à voir la relation essentielle que
toutes ces cultures tissent avec l’eau et les croyances de purification, de
renouveau, de bien-être. Ainsi, on passe par le Gange, et à voir des dizaines
et des certaines d’Indiens qui le vénèrent et s’y baignent, on se s’étonne plus
que ce Gange soit le fleuve le plus célébré et le plus pollué du monde. On
s’arrête après aux sources thermales du Japon et aux hammams de Marrakech et
Istanbul, qui séduisent par la lenteur et le calme. Il y a de quoi penser que
l’eau et la nudité effacent les frontières entre les âges, les classes sociales,
les lieux de naissance, les bains faisant le bonheur des locaux et des
touristes. On y voit surtout que l’eau est une source de joie et de rencontres
surprenantes avec soi-même et autrui ; on découvre des sensations
nouvelles et de nouvelles présences.
En peu de mots, je rappelle le troisième
film : La Florida de George
Mihalka, sorti en 1993, dont on dit qu’il est une comédie québécoise classique.
Pourquoi ? Parce qu’il met en lumière l’envie connue des Québécois de se
sauver du froid et de se faire une vie dans le Sud des Etats-Unis, sous le soleil
de la Floride. J’entends dire que c’était courant surtout dans les années 90. L’histoire
du film est drôle, remplie de non-dits qui entretiennent le comique et poussent
à aller plus loin, à se poser des questions : comment les Québécois vivent
leur singularité en Floride ? Quels liens entretiennent-ils avec les
Etats-Unis à travers l’histoire ? C’est quoi le bonheur pour une famille
dans la cinquantaine, avec deux enfants et un grand-père qui vit avec
eux ? etc. Cette famille s’appelle Lesperance – elle porte l’espoir dans
le patronyme – et par un soir d’hiver froid, ils quittent tous Montréal pour
descendre en Floride. Arrivés au soleil, ils doivent vite désenchanter – nous
aurions pu l’imaginer. « Leur Floride », La Florida n’est pas tout à fait fleurie comme celle de
l’imaginaire, d’où une série d’épreuves, d’aventures et de rencontres inédites,
pas évidentes. La vie simplement avec ses secousses et imperfections. Bref, le
film fait rire et éveille une certaine envie de savoir plus sur les clichés de
l’imaginaire québécois.
Finalement, de ces films, j’ai retenue aussi qu’il y a des rêves et qu’il n’y a pas de
mal à les poursuivre. Parfois, on pourrait être surpris de voir qu’ils se
réalisent, qu’ils se mettent à vivre sous nos yeux. Avoir des rêves, oser en
imaginer, c’est peut-être synonyme d’être heureux ; être en quête, éveillé, l’essentiel
de notre être vivant. Non ?
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