J’aime dormir : je n’éprouve le
sommeil ni comme un repos ni comme un spectre de la mort. Aux nuits opaques de
mon enfance avaient beau succéder les rêves colorés d’une jeunesse agitée d’intrigues
sensuelles, Freud a tout dit à ce sujet ; la mort tragique de mon père a eu
beau creuser le pli d’une insomnie régulière, une heure après minuit tapante,
depuis quelques années déjà – rien n’y fait. Le sommeil est ma seconde demeure.
Seconde langue, seconde nature. Etranger et familier à la fois, le sommeil m’a
toujours été refuge, source et recommencement. Serait-ce la raison pour que
seuls les dormeurs-rêvers peuvent éventuellement appréhender et témoigner de
leur sommeil et de leurs rêves ?
Le petit Marcel rêvait de scènes
sadomaso, une manière de transgresser entre les impensables crises d’asthme et
ses pures méditations d’écrivain penché sur le temps retrouvé. Mais il n’ignorait
pas pour autant le sommeil profond, qu’il désignait comme un « second
appartement » dans des intrigues romanesques, comme le sont les premiers
rêves analysés par l’inventeur de la psychanalyse. Rien que des sensations
douloureuses, des lumières éblouissantes, sonneries stridentes et violents
réveils. Proust le dormeur-rêveur semble réussir là où le névrosé en analyse échoue :
en nommant l’irreprésentable sensation. Tout en découvrant l’impossibilité de
se représenter (de dire, de peindre, d’en faire de la musique), les rêveries
sont-elles douloureuses ou extatiques ?
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