22/08/2013

molière à bicyclette


Il y a des vérités qu’on a besoin de colorer pour les rendre visibles. Celle-là, si c’en est une, ne pourrait être plus transparente, on ne pourrait avoir davantage le nez dedans. Elle est trompeuse de simplicité comme cette image d’une vieille dame dont les traits rabougris, d’un autre œil, forment la silhouette d’une jeune fille. Avais-je eu auparavant l’impression – disons un amusement un peu craintif – d’apercevoir dans la rue des personnes connues ? Peut-être, oui, quand j’étais assise dans un café près de la fenêtre et de temps à autre, je levais les yeux du journal que j’étais en train de lire ; l’espèce d’illusion optique qui vous fait tressaillir. J’étais dans un état flottant jusqu’à ce qu’une voix le brise : ‘Can I take this chair, please ?’ Alors, je les mettais ensemble, l’illusion et l’image de la « vraie » personne, pour tenter de saisir quelque chose d’impossible : l’absence.

N’est-ce pas ce qu’ils font entendre parfois, les romans, les poèmes, certains films ? Dans ce film français récent, Molière à bicyclette, l’absence se donne à voir en filigrane, sous le couvert d’un plein de liberté pour un comédien à la retraite (Fabrice Luchini), installé depuis trois ans sur l’île de Ré. Quand un ami de Paris débarque un jour avec ce projet un peu fou de mettre en scène Le Misanthrope, notre comédien n’est pas tout à fait enthousiaste, le cœur n’y est pas, le désir de remonter sur les planches après trois ans d’absence prend du temps à refaire surface. Mais au fur et à mesure, les répétitions pour la pièce s'enchaînent, à la maison ou à bicyclette, au bord de la mer ou dans la salle à manger ; des rencontres de hasard s'enchaînent aussi, de belles sorties. Des amitiés anciennes et nouvelles apparaissent et disparaissent, l’amour effleure, la vie simplement prend des couleurs, de la ferveur. Les choses semblent se mettre en place : les scènes du film sont drôles, légères, justes. Le clair-obscur alterne avec la transparence pour créer la bonne dose de vraisemblance : la vie vécue. Pourtant, la fin nous laisse avec une pointe d'absence, avec le sentiment que quelque chose ne passe pas : la grâce de l’amitié se retire. Dans la dernière scène, notre comédien qui récite des vers du rôle d'Alceste, assis seul sur le sable près de la mer, est l’imagine même de l’homme qui croit aux mots comme dernier recours : ces mots susceptibles d'apprivoiser l’absence. 


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