Noreena avait donc fini par s’en
sortir. Une année à courir de quartier en quartier à Winnipeg, le long des
autoroutes, les autoroutes larges et hostiles, pour aboutir à la campagne, à
cinquante kilomètres de la ville, dans un village dont je n’ai pas saisi le nom
quand elle l’a prononcé. Deux mariages, trois enfants, des soucis de santé, un
corps massif qui lui fait mal, des parents morts, il faut bien le dire aussi.
Et encore récemment, son plus petit garçon de huit ans a eu une opération au
cerveau et n’ira pas à l’école à la rentrée prochaine. Ma Noreena a laissé
tomber ses cours de français, elle me l’a dit aujourd’hui quand je l’ai croisée
sur un couloir au troisième étage à l’université. Elle voudrait prendre des
cours d’histoire, travailler dans les Archives parce que c’est plus tranquille
et moins stressant que d’être prof dans une école publique. Pourquoi se démêler avec toutes sortes
d’enfants quand on a les siens ?
Quoi qu’il en soit, cette rencontre
inopinée avec Noreena m’a rappelé Proust, et ce passage connu où des êtres et
des souvenirs éloignés surgissent quand on s’y attend le moins. C’est
grâce à Noreena, qui apparaît ici, que l’écriture de ces lignes tient le coup pour
moi, péniblement, à moitié morte. Mais l’écriture pointe vers cela qui m’habite
toute entière, moi qui suis faite de quêtes et de hasards comme Noreena,
d’abandons et de reprises, de la ville qu’elle a laissée avec les yeux secs, la
campagne et une vie à l’horizon que j’imaginais ennuyeuse et dont je me sentais
chanceuse de ne pas avoir à vivre. Car je suis née Adina, sortie tout droit des
Carpates dessinées dans l’atlas géographique, que peut-être Noreena connaît ou
ne connaît pas, peu importe. Je crois que j’ai une certaine affection pour Noreena ; elle était une fois mon étudiante, qui n’arrivait jamais à me vouvoyer, puis un
jour, de sa voix de fumeuse, elle m’a sorti cette drôle de question : Salut madame, comme vas-tu ?
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