Soudain, Madeleine s’est mise à me
raconter son histoire. Nous étions sur la terrasse d’un café sur Bloor Street,
et de mot en mot, elle est arrivée à faire des liens avec la vie de son père.
Madeleine est née à Beirut, et depuis une dizaine d’années qu’elle est au
Canada, elle a essayé toutes sortes de petits boulots pour éviter d’être prof
« comme son père ». Ce père qui en 1978 au Liban, pendant la guerre, avait repris une
école pour la gérer, et trente ans après, il est encore sur les
barricades : il travaille, s’acharne, se bat, au point d’y laisser sa
santé, d’oublier que les années passent, il vieillit, et il faudrait penser à la retraite. Bref, il ne lâche pas ; continuer donne sens à sa vie.
Pour sa part, Madeleine (qui n’a pas
encore goûté les madeleines de
Proust !) ne semble pas exclue de cette filiation d’enseignants. Récemment, la vie lui a fait
croiser un événement qu’elle fuyait : reprendre l’école fondée par une amie
proche, qui vient de mourir. Par-delà le choc de cette disparition, et plus
loin que la surprise de l'offre qui lui tombe dessus, que faire ? Que dire ou répondre ? Le
gouffre des questions s’ouvre béant, et le passé-présent du père, qu’elle croyait
avoir laissé là-bas, revient :
prendre ou pas cette école ? Faire confiance à la vie et se lancer sans cette épreuve ? Répéter ? Et la peur de ne pas être à
la hauteur ? La pression, l’angoisse… Une dizaine d’années au Canada donc, et rien
ou presque ne semble acquis. La voix un peu tremblante, Madeleine évoque cette
sensation cocasse d’être en
déplacement permanent ; appel à se renouveler chaque jour, à chercher, à
inventer des solutions. La vie. Simplement.
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