19/08/2013

madeleine


Soudain, Madeleine s’est mise à me raconter son histoire. Nous étions sur la terrasse d’un café sur Bloor Street, et de mot en mot, elle est arrivée à faire des liens avec la vie de son père. Madeleine est née à Beirut, et depuis une dizaine d’années qu’elle est au Canada, elle a essayé toutes sortes de petits boulots pour éviter d’être prof « comme son père ». Ce père qui en 1978 au Liban, pendant la guerre, avait repris une école pour la gérer, et trente ans après, il est encore sur les barricades : il travaille, s’acharne, se bat, au point d’y laisser sa santé, d’oublier que les années passent, il vieillit, et il faudrait penser à la retraite. Bref, il ne lâche pas ; continuer donne sens à sa vie. 

Pour sa part, Madeleine (qui n’a pas encore goûté les madeleines de Proust !) ne semble pas exclue de cette filiation d’enseignants. Récemment, la vie lui a fait croiser un événement qu’elle fuyait : reprendre l’école fondée par une amie proche, qui vient de mourir. Par-delà le choc de cette disparition, et plus loin que la surprise de l'offre qui lui tombe dessus, que faire ? Que dire ou répondre ? Le gouffre des questions s’ouvre béant, et le passé-présent du père, qu’elle croyait avoir laissé là-bas, revient : prendre ou pas cette école ? Faire confiance à la vie et se lancer sans cette épreuve ? Répéter ? Et la peur de ne pas être à la hauteur ? La pression, l’angoisse… Une dizaine d’années au Canada donc, et rien ou presque ne semble acquis. La voix un peu tremblante, Madeleine évoque cette sensation cocasse d’être en déplacement permanent ; appel à se renouveler chaque jour, à chercher, à inventer des solutions. La vie. Simplement. 

Je me rends compte que l’histoire de Madeleine fait résonnance en moi, là où je me dis parfois que je mets mes pas dans une filiation connue ou inconnue encore, que je suis en train de faire un chemin que d’autres dans ma famille ont peut-être déjà fait. Qui sait ? 


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