05/10/2011

bildungsroman

Dans un des rares Bildungsroman rédigé au féminin, Aurora Leigh (1857), Elizabeth Barrett-Browning raconte la formation affective et intellectuelle d’une femme qui aspire à être écrivaine. Vers le milieu de ce grand poème-fleuve (plus de dix mille vers), l’héroïne réfléchit à ses écrits. Elle tremble. Et elle dit :

« (…) Je suis triste.
Pygmalion souffrait-il de ces mêmes doutes ?
Sentant pour la première fois le marbre dur céder,
Répondre à la tension de ses bras par la souplesse,
Et frissonner à travers le froid sous ses lèvres brûlantes,
Se disait-il que ses sens le narguaient ? que l’effort
Pour se tendre au-delà du vu et du connu pour
Atteindre
À l’invisible Beauté de l’archétype
Avait fait battre son cœur assez vite pour deux,
L’éblouissant et l’aveuglant de sa vie propre ?
Mais non ; Pygmalion aimait – et qui aime
Croit en l’impossible. Mais je suis triste ;
Je ne puis aimer totalement une œuvre à moi
Car aucune ne semble digne de mes pensées, mes
Espoirs
Qui visent plus haut. Il les a abattus,
Mon Apollon Phébus, l’âme dans mon âme,
Qui juge d’après la tentative, le résultat
Et décoche de sa hauteur une flèche d’argent
Pour frapper toutes mes œuvres devant mes yeux
Tandis que je ne dis rien. Y a-t-il à dire ?
Je croyais l’artiste rien d’autre qu’un homme grandi.
Il se peut qu’il soit aussi sans enfant, comme un
homme ».

Barrett-Browning, comme Beauvoir, elle a douté toute sa vie qu’il fût possible de réconcilier ces deux types de fécondité : l’imagination artistique et la maternité. Il n’en reste pas moins que Barrett-Browning est mère, à la différence de Beauvoir qui a refusé la maternité et les incertitudes qu’elle peut entraîner dans la vie d’une femme-artiste. Peut-on imaginer semblables les textes de ces deux héroïnes ? Comment font les femmes pour devenir auteures et nous parler de ce qu’elles ont vécu, de ce qu'elles n’ont pas vécu ? À quelle déesse se vouent-elles pour y parvenir ? 

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