10/10/2011

winnipeg

Automne à Winnipeg. Soleil d’été. On me dit que les arbres perdent leurs feuilles d’un coup, car après la chaleur, le froid viendra très vite ; pas de période d'entre-deux, pas d'intermédiaire de la chaleur au gel. Je réalise que cette transition, la douceur du passage d’une saison à l’autre, d’une image de la nature à l’autre, me manque au Canada. Et le printemps me manque aussi, car il n’existe pas vraiment ici, ou s'il existe, disons qu’il dure un jour ou deux, après quoi le thermomètre saute de 12 degrés à 32.

Vivre avec des températures extrêmes, +35 et -35, s’habituer à des espaces extrêmes, vastes à vous étouffer, et plates jusqu’à la platitude zéro, observer des indigènes dans la rue, race première sur ces terres, ou croiser des êtres qui ont du mal à parler de leurs origines, tellement elles sont mélangées, voilà ce qui peut être un défi au Canada. Il faut dire que l'ajustement, ou au moins le sentiment que vous avez accepté ces conditions, prend de la patience, beaucoup de patience, et entre-temps, vous risquez de devenir un intello cynique qui questionne tout, et n’est jamais content, ou pire, un déprimé isolé qui ne  s'intéresse à rien et s’enferme dans sa suffisance blessée. Dans les deux cas, patience oblige, car finalement ce n’est peut-être pas si mal d’espérer qu’au bout de cette patience, on va s’adapter et laisser passer le cafard. C'est la nature humaine, impossible d'encaisser de la souffrance ou du cynisme à l'infini, alors on lâche. 

En 1965, Julia Kristeva débarquait à Paris de Bulgarie un peu avant Noël. Elle se sentait « étrangère » dans cette ville magique où elle avait rêvé d’arriver encore enfant. C’est assez vain d’imaginer ce qu’elle aurait éprouvé si elle était arrivée à Winnipeg. Ce n’est pas son cas. Pourtant, j’essaie cette torsion de l’imagination pour me consoler, en me disant que l’être étranger existe partout : dans de grandes villes et des petites, en Europe et en Amérique, dans des espaces perdus et au centre du monde. Ce qui fait la différence entre ces expériences d’étrangeté c’est l'écriture. Écrire pour que ce vécu ne se perde pas, pour savoir qu'on a passé par ça, et déjà le fait d'écrire veut dire qu'on est un peu au bout du tunnel. Kristeva a écrit des textes et des livres pour comprendre son parcours personnel, et puis, les sens de l’étrangeté en général, dans Étrangers à nous-mêmes. Cette femme a su capitaliser son expérience d’expatriée, elle a certes eu le courage de dire à la vie : « tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ». Elle en a fait de bons récits, et nombreux, la preuve que c'est possible d'aller au-delà de la mélancolie et de transformer son être étranger en lettre. À quoi ça rime ? Encore une fois à l’espoir que l’étranger, « l’être intrus… qui dérange les bons ménages exemplaires », comme disait Barthes, peut se remuer pour s’inventer ; et en s’inventant soi, il peut inventer un monde autour de soi.  

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